Un sabot en Slovénie. |
La piste pour rejoindre
Zapotok semble abandonnée depuis des lustres. L’herbe recouvre les cailloux,
des branches sont tombées en travers, aucun panneau bien sûr, quelques
ruines…c’est le village fantôme de Velendrol, pourtant indiqué sur la carte
tout comme les villages précédents. De nombreuses masures sont désertées, voire
effondrées. La nature y a repris ses droits, les arbres poussent à l’intérieur
pointant vers le ciel en lieu et place du toit. Après avoir longé la rivière Juana
qui démarque la frontière entre l’Italie et la Slovénie, le chemin se met à
grimper dur. Nous ressortons les caches-cou du fond des mallettes et malgré le
temps frais cette côte nous arrache autant de sueur qu’à nos équidés. Sur les
conseils de Mario, nous tentons de rejoindre le refuge de Korada sur le sommet,
un point de vue imprenable et de quoi camper comme des rois. La petite famille
aux faciès slaves qui habite Zapotok nous indique la direction à suivre pour se
rendre sur la cîme dans un italien impeccable. Nous réussissons tout de même à
nous égarer dans les bois, chaque piste se perd au milieu d’une végétation plus
vivace que le passage humain, la boussole ne nous aide guère. Cela avait
pourtant l’air si simple lorsqu’ils nous l’ont expliqué. L’heure tourne et le
soleil commence à disparaître d’une lumière orangée derrière la montagne. Le
froid de l’ombre battue par le vent est saisissant. Nous apercevons à nouveau
le hameau de maisons et décidons de nous y rabattre. La petite famille nous
invite à s’installer où bon nous semble. Ils élèvent des moutons, ce n’est pas
la place qui manque ici, les voisins ayant l’air d’avoir eux aussi déguerpi. Au
loin, on aperçoit les Alpes et leurs toits déjà bien enneigés où s’accrochent
des résidus de nuages.
Les toits du monde ? |
Au petit matin, l’herbe
blanche craque sous la semelle. Il va faire beau mais le temps que le soleil
pointe au-delà du versant nord, l’ombre glaciale ralenti nos mouvements et
allonge celui de la sortie du sac de couchage et du petit-déjeuner. Une boisson
bien chaude est de rigueur. Le grand-père et son petit-fils nous apportent du
thé et des beignets. La plus belle attention du monde à cette heure où coller
ses doigts à la tasse fait le plus grand bien. Cela tombe à pic car nous
commençons à faire overdose de la polenta au réveil. Froide ou chaude, en purée
ou en tranches, sucrée ou avec du miel, elle intervient lorsque le pain nous
manque. Le midi, c’est l’amie du repas express avec de la sauce tomate et un
filet d’huile d’olive. Le soir, accompagnée d’une bonne ratatouille et de
piment, c’est repas de gala. Un ingrédient plus polyvalent que les pâtes ou le
riz, mais au petit-déjeuner il ne faut pas en abuser quand même…Alors là, de
gros beignets bien gras comme ça, on en mangerait facilement quelques-uns de
plus. Prochaine boulangerie, nous ferons razzia !
Nous avons rendez-vous au
camping de Kanal avec Boris, l’ami de Mario, qui devrait nous délivrer des
informations sur le meilleur itinéraire à suivre pour traverser ce pays. Un
doux fumet se dégage de la cafétéria. Le ventre grand ouvert, nous ne pouvons
résister au plaisir de la découverte des saveurs Slovènes. Ligni ocvrti
(calamars fris), burgers et sauce Ajvar (aux poivrons), palacinke cokoladne
(crêpe au chocolat) et strudel (gâteau à la pomme) font danser, tournicoter nos
papilles. Deux belles assiettes qui me font frémir rien que d’y repenser. Quand
on a faim, on mangerait n’importe quoi, mais en plus lorsque c’est exquis de la
sorte, on en tomberait le derrière par terre. Il n’en reste plus une miette.
Partie intégrante du voyage, la nourriture est non seulement un lien social
autour duquel se retrouvent les gens, mais il ajoute une ambiance, des odeurs,
des goûts à un pays. Après la cuisine italienne très fine, celle d’ici plus
grasse est tout aussi délicieuse et s’accorde bien avec le froid ambiant. Le
demi-litre de bière n’était pas obligatoire, mais nous fêtons tout de même un
sabot en Slovénie !
Nous traversons la belle
rivière Soca qui découle de la célèbre vallée et parc naturel éponymes nichée
au creux des Alpes. La couleur de l’eau affiche une rare pureté ainsi qu’une
faible température. Il nous faut alors remonter par toute une série de lacets
jusqu’à Kanalski Vrh. La nuit tombe déjà, nous ne nous sommes pas encore faits
à ce nouveau rythme. Nous ne pouvons pas camper n’importe où car les villages
et leurs vertes prairies sont séparés d’immenses forêts sans herbe. Une fois
sur les hauteurs, il souffle un vent à décorner les cocus. Durant la nuit, le
Terre vrombit et grogne. Son souffle est tellement puissant qu’elle paraît
vivante et en colère. La tente se couche sur nous, un arceau casse à nouveau.
Maudite tente, nous avions pourtant opté pour la qualité au détriment du prix
et la voici qui nous lâche de tous les côtés, et je ne parle pas des fermetures
éclair et des hublots en polyuréthane. Matériel d’expédition mon œil ! Et
puis ce n’est pas franchement la bonne saison pour coucher à la belle étoile…
La forêt paraît avoir été
piétiné, mâché et recraché par un géant aux alentours de Cepovan. Le nombre de
hêtres au sol est impressionnant. Ceux qui sont encore debout ont été décapité.
Une forêt transformée en champ de bataille, un vrai carnage. Qu’a-t-il bien pu
se passer ici ?
Zoran et Maria. |
Réserves de maïs en milieu rural. |
Lorsque nous harnachons le
lendemain, les voisins viennent tous discuter. « Schnaps ? »
Propose Janja. Un petit verre de gnôle en guise de collation pour affronter le
froid. Ça marche ! Nous gagnons ensuite Gorenja Trebusa par de belles
pistes arpentant ces radieuses montagnes. Par endroits, beaucoup d’arbres sont
encore à terre, mais malgré tout, la
nature semble bien préservée. Les habitations sont éloignées les unes
des autres et sont en harmonie avec le paysage. L’empreinte de l’homme est
aussi minime que possible. Nous commençons à nous éloigner de la frontière et
dans certains bourgs il devient plus difficile de se faire comprendre, ou
plutôt à nous de saisir correctement. Un qui pro quo énorme nous énerve alors que nous demandons notre chemin en
insistant sur le fait que nous préférons passer par de la piste que par cette
maudite route où l’on nous renvoie sans cesse. Un quidam parlant italien avait
pourtant insisté sur le fait qu’à l’église, une des deux n’était constituée que
terre battue pour rejoindre Vojsko. A droite on nous dit « Asfalt,
asfalt ! ». Nous faisons donc demi-tour, et plus loin on nous assure
« Makadam, makadam ! » Pour nous c’est la même chose, on
commence à bouillir en notre for intérieur. Et pourtant… excusez-nous de la
méprise, « macadam » signifie en réalité « gravier », soit
de la piste stabilisée, rien à voir avec le bitume. En français aussi
d’ailleurs : « Assise de chaussée formée de pierres concassées et
agglomérées avec un agrégat
sableux. » dit le Larousse. Ah si avant d’apprendre les langues étrangères
on commençait par apprendre la nôtre ! Nous nous élevons de ce pas comme
essayant de rattraper le soleil qui tente de fuir derrière la crête. Les lueurs
du soir sont splendides sur ce panorama sauvage.
Un homme vient vers nous, suivi
de ses trois chevaux bâtés pour le débardage, tous en ligne, placides, le
suivant tranquillement avec obéissance. Quel tableau onirique ! Le chemin
étant un peu étroit pour ce petit monde qui se frôlerait, et ayant un doute sur
leur réaction ou celle des nôtres c’est le branle-bas de combat pour les
laisser passer : formation tortue ! non losange ! euh en
ligne…et la belle photo sera ratée. Et oui nous deux avec nos quatre chevaux à
gérer nous avons l’air plus embêté que lui les mains dans les poches avec les trois
siens. Mais mieux vaut prévoir, c’est la leçon de nos déboires passés. Un peu
plus loin deux ânes en liberté nous scrutent. Allez vite on trace l’air de
rien. Surprise ! C’était sans compter les copains aux longues oreilles
cachés derrières les arbres. Les voici qui déboulent. Nous attrapons chacun un
bâton, juste au cas où l’un deux aurait l’âme d’un Filou des Causses…J’essaye
de les éloigner du bout de la branche, mais rien à faire. Contrairement au
cheval, l’âne affronte et est même téméraire. C’est maintenant tout un troupeau
de bourricots qui nous emboîte le pas. Le plus audacieux vient dire bonjour et
renifle Nakai de drôlement près. Nous guettons la moindre réaction venant de
qui que ce soit. Pourvu que tout se passe bien. Mais jusqu’où vont-ils nous
suivre ? « Allez les gars c’est ici que nos chemins se séparent, et
soyez sympa, ne faites pas de mouvements brusques hein, on est tous copains,
tout doux les gars ! Bon allez, du vent là, hop hop hop, allez voir
ailleurs si on y est ! » Puis les voilà qui s’arrêtent et nous
regardent prendre de la distance, plantés là comme une allée de poireaux. Nous
soufflons, drôlement contents et soulagés de l’attitude calme et sereine de nos
poneys. Il y a un progrès indéniable. Même Vasco n’a pas bronché. Nous n’en
revenons pas, quel challenge ! Un troupeau d’ânes carrément, et en
liberté, même pas peur !
Retour du débardage. |
Non loin de Vojsko, le
propriétaire de ce gentil cheptel et de ces terres libres de toute clôture
vient à notre rencontre et nous accorde l’autorisation de camper ici. Il nous
recommande toutefois de nous mettre à l’abri du vent qui risque d’être féroce
cette nuit. À 1100 mètres de haut, l’air est frais, l’eau de la rivière est
pure et nous n’hésitons pas à nous y abreuver. Au loin les tronçonneuses
rugissent jusqu’à la tombée de la nuit. Tout le monde débarde, coupe et range
son bois en prévision de l’hiver imminent. Ils ont plutôt raison car il devient
de plus en plus dur de quitter la confortable chaleur du duvet au petit matin.
Les maisons sont très éloignées les unes des autres. La vie doit y être calme
et agréable l’été mais sûrement rude l’hiver. La neige doit vite couper ces
petites voies de circulation. Au cours des mois les plus froids Vojsko se
transforme en station de ski. À notre grand étonnement, des blocs de neige
subsistent en ses environs. Ils datent du dernier orage la semaine dernière, et
à cette altitude la pluie se transforme vite en cristaux blancs. Nous apprenons
que c’est la ville au climat le plus hostile de la région. Bien au frais à l’ombre,
ces gros glaçons ne fondent pas. En coupant le pays sous Ljubljana en direction
de la frontière Croate nous devrions redescendre sur les plateaux à (seulement) six cents mètres d’altitude, et ainsi retarder l‘échéance d’une éventuelle chute de
neige. Boris avait bien imagé le relief de la Slovénie : « C’est
comme si tu chiffonnais une feuille de papier et que tu la dépliais. » Un
territoire exclusivement constitué de montagnes.
Mira et Ana. |
Idrija, ex-ville minière. Du
mercure y a été découvert en 1497 et son exploitation a duré près de cinq cents
ans. Ce fut la plus importante du monde avec celle d’Almaden en Espagne. Elle a
mis la clé sous la porte il y a une trentaine d’années et est maintenant
inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. On peut aujourd’hui visiter son
réseau de souterrains et plonger dans l’histoire de ce métal liquide au
commerce transcontinental.
Toute la ville a une allure
assez proprette. L’architecture ressemble un peu à ce que l’on peu se représenter
de l’Autriche. De grandes maisons simples aux belles façades colorées ou
blanches percées de fenêtres à petits carreaux. Les toits des églises sont de
cuivre verdi. En discutant sur la place centrale, nous arrivons de fil en
aiguille chez Ana Sever qui tient une école d’équitation en plus de son métier
de professeur d’anglais. Un accueil bienveillant nous permet de faire une
journée de repos, et surtout de nous réapprovisionner car il nous était
jusque-là impossible de trouver des vivres dans les petits villages de
montagne. Nous arrivions au bout de nos réserves. Ana nous conseille par
ailleurs de goûter la spécialité locale en ville, le « zlikrofi ». De
prime abord ce plat ressemble aux raviolis mais préparé avec de la pomme de
terre et des herbes. Il est accompagné de sauce et éventuellement de viande.
Bourratif, mais bon, et puis si c’est trop lourd il y a toujours le schnaps en
digestif pour faire descendre tout ça.
Un panneau signale la
présence d’ours à l’orée de la forêt et du village de Medvedje Brdo. Nous
repérons une clairière, mais décidons de jouer le jeu en tentant notre chance à
l’auberge locale et par la même occasion trouver un lieu sécurisant pour les
poneys. Au fond, il est préférable d’éviter de les exposer à un grand prédateur
alors qu’ils sont à la longue corde sans échappatoire. Bien mal nous en a pris.
Nous aurions préféré avoir à faire au plantigrade, aussi affamé qu’il puisse
être. Le patron du bistrot nous aiguille sur celui que nous appellerons
« Sano », vraisemblablement le pilier de bar du bled. Il nous
accompagne à sa ferme. Désirant rendre service à Clio, il lui arrache Nanouk
des mains et tient à le conduire jusque chez lui. Bien sûr il ne parle pas un
mot étranger. Il a ensuite la mauvaise manie de marcher au milieu de la route,
et qui plus est, en titubant. Clio rassemble tout le tact autoritaire dont elle
dispose et réussi à récupérer Nanouk qui se faisait promener gentiment avec sa
nonchalance habituelle. La prairie est spacieuse pour les gros. Le petit paysan
à la morille est déjà en train d’enfourcher du foin insistant pour que nous
leur donnions en plus de l’herbe présente. J’essaye de savoir comment il
s’appelle en me présentant maintes fois, et lui de me répondre « Sano,
Sano ! ». Nous ne serons avertis que plus tard que « sano »
désigne le foin en Slovène. En attendant nous l’appelons comme ça, et en y
repensant ça lui va bien, Monsieur Foin. Il caresse avec un peu trop d’ardeur
et de vigueur les chevaux à notre goût, il a de la chance qu’ils soient si
dociles. De drôles d’onomatopées sortent de sa bouche « ho, ho, hey, ho,
hin… » à coup de grosses tapes sur les encolures, allant d’un cheval à
l’autre. Bizarre. Bof il va bien se lasser. Il fait déjà bien nuit, les étoiles
scintillent fort et le mercure est déjà passé sous zéro. Bon Sano, on aimerait
bien aller se coucher nous. « Lahko noc. » (1) lui répète-t-on. Et il
nous serre et resserre la main « Hvala lepa, lahko noc. » (2)
insistons-nous. Rustine ne l’aime pas trop, tourne autour et grogne en
sourdine. Kali, comme en de nombreuses circonstances, dors. Il n’est pas facile
d’avoir à faire avec un hôte saoul car ses réactions ne sont dès lors plus
prévisibles, et il lui est facile de basculer du côté obscur de l’humeur. Il
finit par repartir en zigzags. Espérons qu’il arrive à regagner au moins son
lit. Nous nous glissons enfin dans notre duvet, la fatigue de la journée nous
jette instantanément dans les bras de Morphée.
Un sommeil profond interrompu
quelques heures plus tard par Rustine en furie. Un aboiement rageur qui ne fait
aucun doute sur la venue de quelqu’un. Il a de la chance qu’elle soit attachée.
Et encore ces horribles onomatopées. Qu’est-ce qu’il nous veut encore ?
Pourvu qu’il n’ait pas vrillé dans sa tête. Je sors le buste dans la froideur,
inquiet et dégoûté de ne pas avoir la paix. Une gueule rougeaude se pointe au
dessus de moi et me tend un truc à l’odeur nauséabonde. « Nie, nie,
hvala » (3) dis-je en le lui rendant. Une longue discussion de sourds
s’ensuit, le slovène n’est déjà pas évident pour nous, mais le slovène bourré
c’est encore autre chose. Je comprends cependant qu’il vaut mieux accepter pour
qu’il s’en aille. Il s’agit en fait d’une sympathique attention, il nous offre
deux grosses saucisses bien fumantes et bien grasses posées sur du pain. Il a
dû retourner au bar, finir sa cuite et penser que nous devions avoir un petit
creux. Je pose le sac à l’odeur peu ragoûtante à cette heure de la nuit sous le
double toit. Mais il reste le nez pendu là. Décidément, il est gentil mais pot
de colle, et puis ça caille à la fin. Lorsqu’il se décide à s’en retourner chez
lui, il repasse donner de grandes accolades sonores à chacun des poneys.
Rustine pète un plomb. Elle aura droit aux saucisses qui embaument la tente. Ça
fait plaisir et ça débarrasse ! J’aime bien la bouffe, mais certaines
heures ont leurs limites. On se rendort enfin, priant pour que l’alcool ait eu
raison de lui.
Monsieur Foin. |
Au lever du jour, notre cher
Sano s’est mis sur son trente et un, avec un beau blouson sky et des lunettes à
l’étiquette encore collée sur les verres. La gueule enfarinée, il ne brame plus
comme hier et a l’air penaud. Il a perdu de ses couleurs. Un bon gars
finalement, qui nous fait même de la peine. Nous imaginons sa triste vie dans
cette ferme délabrée avec pour fidèle compagnon son reflet dans un verre de
gnole. Quelle que soit son histoire, je ne pense pas qu’il mérite de finir
comme cela. C’est un homme bon, il n’y a pas de doutes là-dessus.
A pieds, a sabots, a pattes... |
Ferme sur le plateau de Logatec. |
Andreja, Ivan et Stanislas |
Chagrin de guerre. |
Le sujet de l’ours revient
sur la table. Nous sommes fascinés par la présence de cet animal et cherchons à
en savoir plus. Régulièrement des promeneurs en aperçoivent sur la montagne au
pied de laquelle nous nous trouvons. Les agressions sont pour ainsi dire
inexistantes. « C’est un
paisible animal, assure Stanislas, il ne faut juste pas avoir la malchance de se trouver entre la mère et ses
petits. » Pourtant, ils se rendent tout comme le font les renards de plus
en plus près des habitations pour tenter de trouver à manger, attirés par les
poubelles. Pour nos hôtes c’est une des principales conséquences des normes
sanitaires européennes. Auparavant après avoir abattu et dépecé des animaux,
les habitants allaient loin dans la forêt y jeter les abats et autres restes.
Les ours et différents charognards y trouvaient leur compte, mais cette
pratique est désormais interdite.
Jure et un de ses quarter horse. |
A Logarji personne ne parle d’autre langue que le slovène à notre arrivée. Aussi bien nous arrivons à nous faire comprendre par les quelques mots maintenant acquits et discutons façon petit nègre : « Dober dan, potovanje konj in pes, Francuski. Kampiranje za eno noc. kamp da konj, trava in voda… » (6) Alors que nous prenons nos quartiers dans le champ, deux jeunes filles de familles différentes viennent toutes deux discuter en anglais et nous proposer une douche. Cela fait quelques jours que nous en avons grandement besoin, le froid ne permet plus de jouer les cro-magnons dans les rivières. Au cœur de plateaux enchanteurs peuplés de pins au pied desquels s’écoulent d’attrayants ruisseaux d’eau claire, de petits verres sont mis à disposition des promeneurs pour puiser et boire l’eau de source. Un lieu idyllique par grand beau, à apprécier avec un bon blouson aujourd’hui. Nous n’aimons pas rentrer chez les gens de la sorte juste pour profiter d’une douche sans forcément passer de temps avec eux. Nous ne voulons surtout pas nous imposer, mais là, l’eau chaude est élevée au rang de bienfaitrice et nos hôtes remerciés avec ferveur.
Trebca Vas dans la brume. |
Un sentier européen balisé E7
devenant ensuite E6 emprunte des pistes carrossables et permet de se repérer
dans la forêt lorsque nous sommes embêtés comme une poule avec un cure-dent
devant un carrefour de pistes forestières. Nous devrions pouvoir rallier
Zuzemberk sans trop d’encombre. La forêt semble sauvage, les immenses pins
habillés de leurs aiguilles intemporelles protègent du crachin qui s’escrime à
nous humidifier, profitant que les feuillus soient déplumés. De grosses roches
éparpillées en vrac sur les feuilles brunes sont recouvertes de mousse verte,
ajoutant un petit côté chaotique à ces sous-bois. C’est le décor parfait pour
dissimuler la caverne d’une famille d’ours. Avec le raffut que font les sabots
et les chiennes qui fouinent partout à grande vitesse, ces derniers ont le
temps de nous entendre arriver et de faire le détour. Tellement concentrés à
scruter les amas de pierres que nous réussissons à nous égarer, par chance
cette fois-ci. Nous atterrissons dans une jolie clairière à l’herbe encore bien
tendre pour la saison avec en son milieu, un mignon et providentiel refuge. À
tout hasard nous y jetons un œil, sûrement un lieu de rendez-vous de chasseurs,
grand ouvert, qui a malheureusement été visité par le passé et vandalisé. Des
lits sont encore à disposition, nous dénichons un puits d’eau de pluie, un
abris pour y faire le feu, cuisiner, se réchauffer et… incroyable mais
vrai : un bout de rail de chemin de fer qui fera une enclume parfaite pour
ferrer les antérieurs de Nanouk et les postérieurs de Nakai. En effet, le métal
des fers italiens était trop doux et ils ont été usés trop rapidement selon les
différentes poses de pieds. Nanouk a cassé son fer en deux aujourd’hui même.
Que demander de mieux alors que la tourmente s’approche ? Cette
coïncidence paraît vraiment farfelue. Il pleut ensuite pendant trois jours. Les
gouttes martèlent le toit du refuge que nous gratifions bien au chaud dans nos
duvets. Les poneys sont à la longue corde et en liberté à tour de rôle la
journée, pensant plus à se goinfrer qu’au déluge. Le deuxième jour, les vivres
viennent à manquer. C’est l’occasion de se défouler. Le prochain village est à
sept kilomètres, soit une heure et demi de marche. Ce sera vingt-cinq minutes
avec Nakai à toute berzingue, trempés jusqu’aux os au retour malgré l’imper
mais avec de quoi faire sécher les affaires à l’arrivée ce qui ne serait pas le
cas lors d’une étape ordinaire.
En quittant cet endroit, nous
clouons les vieux fers aux poutres et portes pour lui porter chance. Le
brouillard se lève et la pluie semble cesser de menacer. Nous hallucinons
encore sur notre bonne fortune qui nous a évité la déprime humide. A Zuzemberk,
la rivière Krka est sortie de son lit et ses courants devenus tumultueux. Sur
les hauteurs face à l’imposant château gardien de la cité, André offre son pré
avec grand plaisir, fourni du bois pour le feu et du jus de pomme de sa
production pour le regarder brûler sous un ciel enfin étoilé.
Les troupeaux de chevaux sont
de plus en plus nombreux dans la région, de belles bêtes bien robustes, de la
stature de poneys demi-traits. Leur physique en ferait sûrement de bons poneys
de randonnée. C’est chez Urska à Brezoca Reber que nous apprenons le but
véritable de cet élevage. Elle-même passionnée d’équitation, elle possède avec
son mari un beau cheptel qu’elle destine pourtant à l’abattoir. En plus des
vaches, un gagne-pain qui a du mal à se marier avec l’amour et la relation
étroite que peut avoir un cavalier avec sa monture. « Je les touche peu et
m’attache à eux le moins possible, c’est trop dur sinon. »
Elle-même
randonne à cheval, et le plus contradictoire est que sa fille Tamara accomplit
des choses époustouflantes avec son poney Welsh. Une vraie petite indienne.
Elle lui demande d’exécuter plein de tours amusants, comme se coucher sur commande,
s’allonge sur lui au milieu de la foule, le fait s’asseoir en lisant le
journal, révérence… et bien d’autres encore. Une belle et étroite relation.
Cette enfant de douze ans passe sa vie avec son poney. Le mari est issu de
famille de paysan. Il sait se détacher de ses bêtes pour en vivre.
Urska et sa smala. |
Encore un drôle de hasard,
Magalie Pavin est aussi passé dans cette demeure. Sûrement comme nous elle a
dormi à l’abri, dans cette grande maison qui sert de chambre d’amis. Urska nous
raconte la même histoire qu’Andreja à propos de sa traversée en Slovénie.
Jusqu’à la frontière hongroie, l’aventurière n’aurait presque jamais dormi
dehors. Mais suite à l’anecdote qui s’ensuit, je préfère tout compte fait
roupiller sous la toile de tente et avoir un œil sur nos équipiers à poils. Un
ours a récemment pris pour cible alors qu’il maraudait les poubelles, la jument
d’un de ses amis. La poulinière s’en est sortie de justesse mais avec de
sévères cicatrices en protégeant son poulain. Une griffe d’ours n’a pas trop
l’air de chatouiller. Au refuge de Sentrumar, nous rapprochions nos poilus au
plus près pour être réveillé en cas de grabuge. Jusqu’ici nous pensions que
cela devait plus se révéler d’une paranoïa. Maintenant nous savons qu’il n’en
est rien, même si cela arrive rarement.
Branco |
Notre carrosse, clé d'un repos mérité. |
Diona, Daria, Tanja et Alban. |
La Slovénie nous laisse un
souvenir fort et imputrescible d’une terre d’accueil où il fait bon de
déambuler à cheval. La nature, belle et sauvage, « lepa in divja »,
s’y prête. Le regard se porte volontiers à l’horizon, incitant à
s’aventurer où bon nous semblera, à marcher, prendre du bon temps tout comme
braver les éléments…
(1) Bonne nuit
(2) Bonne nuit, merci beaucoup.
(3) Non, non, merci.
Vidéos
sur youtube : « Quick France – Extra burger bacon » et
« Quick France – Extra burger cheese.
(6) Bonjour, voyage cheval et chien, Français. Camper pour
une nuit. Champ pour chevaux, eau et herbe…