lundi 22 septembre 2014

Calorosa Italia.

File indienne sur les hauteurs alpines.


Avec l’aide de l’entourage de Gé et Méli, nous avons réussi à nous décider concernant l’itinéraire qui semble le plus approprié. Thomas nous a dégotté des cartes au 1/25 000e jusqu’à la frontière. Une carte en relief a permit de se rendre réellement compte de l’orientation des crêtes et vallées. Elles ne sont plus d’ouest en est, mais du nord au sud, compliquant notre traversée. Les bergers nous ont indiqué leurs chemins de transhumances. Il va nous falloir passer le massif des alpes en dents de scie, franchir la vallée du Var, de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya. Nous évitons ainsi la basse montagne avec ses vallées encore plus nombreuses et plus 
Sur les hauteurs de Clans.
urbanisées, tout en passant sous les hauts monts pelés du Mercantour avoisinant les 3 000 mètres d’altitude. Nous choisissons les alpages estivaux entre 1 300 et 2 000 mètres.
Des orages sont prévus tous les jours, et pour une fois la météo ne se trompe pas. Nous nous levons à l’aube afin de couvrir le maximum de distance avant le déluge, prévoyant de ne pas se retrouver coincés en zone trop exposée à la foudre. Après avoir franchi le Var, nous remontons par les gorges du Cians, coincés entre des falaises de roches ocres aux allures de forteresse. Ces murailles s’effrittent sous l’effet de l’infiltration d’eau de pluie, marquant le bitume d’impacts. Motos, voitures et bus nous frôlent à toute vitesse et sans vergogne. La route sans visibilité devient stressante. Vivement que nous regagnons nos montagnes ! Mais le danger n’est pas moindre une fois sur les sentiers d’altitude. Escarpés, en dévers, détrempés, nous passons en file indienne, faisant confiance, ou plutôt espérant le calme et l’agilité de nos chevaux. Parfois, nous retenons notre respiration pour écouter que le terrain ne se dérobe pas sous leur poids. Une bande de vététistes essoufflés poussent leurs vélos à la main tellement le sentier est ardu. Ils sont impressionnés que nous puissions passer par de tels endroits. Cela n’est pourtant que l’échauffement face à ce qu’il nous reste à parcourir.



Rues effritées de Lantosque.
Nous campons au milieu des troupeaux de vaches en liberté. Elles coulent de douces journées sur ces alpages verdoyants. Les chevaux font bombance loin du harcèlement des taons et compagnie. L’air y est pur et frais. Lorsque le soleil daigne pointer ses rayons au matin, il illumine toute la chaîne de montagnes devant nous. Cela galvanise. Nous pensons à ces meutes de loups imprenables, bandits du monde paysan. Plus d’un souhaiterait mettre leurs têtes à prix. On peut lire de rageurs “mort aux loups” tagués sur les bords de route. Il serait plus juste d’inscrire “mort aux cons”. Maîtriser, anéantir, régner est la devise de l’homme qui se veut civilisé dans le plus grand déni de sa planète. Seul lui importe son petit confort.
La rêverie fait place à la fatigue et au désespoir de l’effort fourni en vain lorsqu’il faut faire demi-tour face à de grands ravins d’éboulis. Le soleil brûlant se voile, le temps devient pesant et arrache de grosses gouttes de transpiration. Temps perdu et patience à rude épreuve. Des erreurs à des embranchements ou des chemins qui disparaissent nous confrontent parfois à des situations compliquées, à des passages étroits où les manoeuvres avec quatre poneys chargés sont laborieuses, puis il faut refranchir les différents obstacles.
Lucien et sa grande soif.
Sur les hauts de Bairols, Lucien et sa famille font bombance. Ils nous offrent la récompense de cet acharnement. Alors que notre ventre crie famine, ils nous convient à une paella en plein air pour leur crémaillère. Les chevaux enfin sur terrain plat dévorent l’herbe tant attendue.
De 1 500 mètres d’altitude, il faut plonger au coeur de la vallée de la Tinée qui surplombe d’à peine 500 mètres le niveau de la mer. Bien avant que la route asphaltée ne fasse la liaison, les voies d’accès n’étaient que des chemins muletiers escaladant la roche. Suffisamment larges, ils permettaient le passage des charrettes et calèches. Les pierres sont glissantes et aujourd’hui le chemin s’est rétrécit car peu emprunté. Des vestiges de crottins nous rassurent sur l’issue du sentier.
Phillipe, le boulanger de Pont-de-Clans adepte de tout-terrain nous renseigne sur la qualité des chemins à venir. Pour couper une trop longue piste, nous nous engageons sur l’étroit chemin de la “Vallière obscure” où il dit être passé trois semaines plus tôt. Rien qu’au nom on aurait dû se méfier. Une énorme roche et un arbre se sont éboulés en travers. Je joue la carte de l’aventure et passe.
Rustine, fiére de son ascencion.
Vasco touche avec les mallettes et manque de mettre les postérieurs au ravin. Clio veut jouer la carte de la sécurité mais forte tête, je la convainc. On débâte et on passe le reste de l’équipe. Manque de chance, vingt mètres plus loin, une autre embuscade accompagnée des premières gouttes de pluie. Bien joué Arno ! Il faut porter les mallettes beaucoup plus loin car impossible de rebâter Oro qui est insupportable dès que Nanouk est hors de sa vue. Vasco fait rebondir son gros bidon sur la roche, se déporte et se rattrape de justesse. Je lui avait pourtant dit de rentrer son ventre ! Lorsqu’on se remet enfin en marche, la tourmente explose, la foudre est toute proche et nous fait sursauter et nous attachons tout le monde court dans la forêt de pins. Nouvel arbre en travers, heureusement nos petits chevaux passent tout juste en dessous. Sortis de cette galère, l’orage s’estompe mais nous sommes trempés jusqu’à la moelle. Nous n’avions pas eu le temps d’enfiler tout notre barda imperméable. Une maison forestière offre un endroit pour un possible bivouac. Un autochtone passe en quad. Nous le questionnons sur notre suite. Il nous apprend aussi que Phillipe est en réalité champion du monde de moto de trial “Le boulanger ? Il passe partout lui !” S’exclame-t-il en rigolant.
Un sabot dans le ciel.
Peu fier, pour me rattraper, ne pas faire de détour et surtout arriver tous entiers, je pars en reconnaissance. Une quête de sentiers et d’anciennes pistes forestières potables. L’ambiance post-orageuse est magique. Tous les sommets des Alpes flottent au-dessus des nuages telles de petites îles sur une mer de coton. Le silence sur cette immensité est ennivrant. Tous simplement magnifique, gigantesque, sauvage. Il est si rare de voir de tels paysages. Littérallement soûlé de beauté, je crapahute trois heures durant avec quelques chamois, eux-mêmes surpris de croiser un énergumène excité comme cela. J’ai enfin trouvé un passage jusqu’au col d'Andrion. Nous repassons le lendemain sur les cîmes mais la ouate magique s’est évaporée. La dimension est encore autre. La mer et la montagne ont cela en commun. Le pouvoir de se transformer au point d’être méconnaissables, d’un panel d’une douceur émouvante jusqu’à une rage destructrice.

Paule la Cougourde !
 Passé les vacheries et anciennes casernes de chasseurs alpins, nous redescendons encore une fois au ncoeur d’une vallée, la Vésubie. Les deux juments échappées de Jean-Louis forcent la rencontre. Celui-ci offre de nous prêter un pré clôturé pour une journée de repos à Lantosque. Le petit village perché sur les gorges de la rivière turbulente est plein de charme. Vieilles maisons coincées les unes entre les autres, ruelles pavées étriquées surplombées de balcons en bois fatigués, ruines en pierres. On entend déjà parler italien parmis les maçons. Les anciens parlent un  patois similaire, le cougourdi. Paule, la voisine, se vante d’ailleurs d’être une Cougourde, ce qui veut dire courge explique-t-elle hilare en nous faisant goûter ses délicieux beignets aux fleurs de courgettes. Le floklore est très présent dans cette région. Elle-même fait partie d’une chorale de tambours et mirlitons qui rappelle celles des carnavals suisses. Des jeunes organisent des fêtes de villages avec concours de Vitou, un jeu de cartes, ou encore de Pilou : dans la jeunesse de Paule, les garçons faisaient rouler du bout des pieds et le plus longtemps possible de vieilles pièces de centimes trouées dans lesquelles était enfilé un tube de papier.


Balcon de l'Authion.


Nous attaquons un nouveau dénivellé de 1 000 mètres arraché au bout de deux heures de grimpe. Nous marchons énormément à pied ces derniers temps pour soulager nos destriers. Le grand mérite revient aux chevaux de bât dont le poids de la charge morte est accentué lors des montées et descentes. Ils transpirent énormément et leurs dos sont mis à rude épreuve. De la dense forêt, nous débouchons sur la station de ski du col de Turini pour ensuite gravir le célèbre mont de l’Authion. La vue imprenable donnant jusqu’à la méditerranée en a fait un point stratégique convoité. Trois forts y ont été érigés vers 1860 pour surveiller une éventuelle et redoutée invasion alors que la Roya appartenait encore aux italiens. Les casernes permettaient l’essort des villages environnants, remplissant bar, bals, épiceries. Les habitants leurs fournissaient bois et fourrage… On aperçoit encore, tout comme dans les Cévennes, les terrasses abandonnées à flancs de montagnes. L’adret était dédié aux cultures céréalières alors que l’ubac était davantage réservé aux fruitiers. Les forêts de mélèzes procuraient la matiére première pour les charpentes.
Aux mains des fascistes durant la seconde guerre mondiale, la première division française libre y a livré et remporté bataille en avril 1945. La frontière actuelle que l’on connait sera redessinée en 1947. Les ruines et une carcasse de char Stuart témoignent des violences passées. Aujourd’hui partie intégrante du parc national du Mercantour, il est gardé par de paisibles vaches armées de cloches, et dont le lait produit de savoureuses tommes.

Frontière, chemin de contrebandiers dans les nuages.

Nous fondons sur la Roya où nous chinons des informations sur les prochains sentiers. L’un d’eux a peu près praticable permet d’aller à La Brigue où se déroule une fête médiévale. Il nous faut tout de même débâter pour franchir un ébouli stabilisé qu’un sapin rend étroit d’un côté, et au vide menaçant de l’autre. L’emprunte italienne est de plus en plus marquée. C’est agréable et dépaysant d’entendre parler le brigasque, un patois voisin de la langue romane. Devant nous se dresse la frontière naturelle, une véritable muraille, une ligne de crêtes à 2 000 mètres d’altidude. Son ascension se gagne à la sueur de notre front. La chaleur écrasante ne présage rien de bon. C’est en plein milieu des nuages que nous arrivons à la baisse de Samson. On ne voit plus à vingt mètres et un grondement sourd tourne autour. Nous nous pressons dare-dare pour dresser un campement de fortune afin de se mettre à l’abris ainsi que les affaires… et puis rien ! L’orage passe sans exprimer sa fureur, les nuages découvrant l’Italie. Nous repartons sur les traces de “l’Alta Via dei monti liguri”. Aussi appelée ancienne route du sel, c’est par les chemins muletiers reliant les plus hauts monts de la Ligurie que transitait la précieuse denrée des côtes vers les terres. Cette voie permettait d’éviter les vallées et ainsi de minimiser les efforts à fournir. La piste est large, mais ce n’est malheureusement pas la première tempête à passer par là. Des arbres tombés en travers barrent le chemin tous les dix métres. Nous modifions notre itinéraire et bifurquons vers le Passo de la Guarda et le Colle Garrezzo. C’est sûrement mieux ainsi. Nous évitons les cîmes en cas de changement de temps brutal. D’ailleurs les premières gouttes s’annoncent. Vasco déferre au même moment. Je recloute prestement le fer avant le déluge. Désespérant de trouver un endroit où camper, nous avançons encapuchonnés sous nos imperméables. Il n’y a que de la forêt ou des pentes vraiment trop abruptes. Lorsque le calme revient, un berger roumain vient à nous. Nous nous essayons à nos premiers échanges en italien. Dur dur, mais ça a l’air de marcher. Il nous accompagne pour nous protéger des patous, et finalement nous dégotter une aire de pique-nique plane avec un peu d’herbe et une source.
Crete plongeante sur la méditerranée.

Au Colle Garrezzo la piste s’est éboulée. Il n’y a pas d’autres choix que de descendre vers Pieve di Teco. Le voisin de Paule à Lantosque nous a offert une carte au 1/50 000e de la région. Après quelques tentatives pour emprunter pistes et sentiers, certains ne sont plus que de succintes traces lorsqu’ils ne disparaissent pas complètement. Nous réalisons que le dernier relevé de la carte date de cinquante ans. Nous restons sur les alpages d’une crête qui descend dans la vallée, devinant ce qui devait être le chemin. Bien des choses ont changées. Une berge a été envahie par les brousailles. Clio a la mauvaise idée de déranger les nouveaux locataires en mettant un pied dans leur nid. Une nuée de guêpes  s’envolent et piquent. Le demi-tour de l’équipe est aussi surprenant que véloce !
Nous quittons les Alpes, saluant leurs hauts pics enneigés qui se dressent au loin. Leur stature est massive, des monts à 3 000 mètres entre Tende et Cunéo.

Benvenuti !
Pieve di Teco nous séduit par ses petites échoppes sous les arcades de ses rues pavées. Ici pas de supermarchés, mais de petites épiceries aux produits locaux et spécialitées culinaires à vous déclencher le reflexe de Pavlov rien qu’à entendre leurs noms : prosciutto crudo, fromaggio di capra, pepperoni con tono, focaccia, pulpo al oleo, dolce, gelato, et la fameuse birra Moretti. Plein de choses à grignoter et à découvrir qui font papilloter les papilles.
L’architecture est celle d’un village de montagne aux petites ruelles humides, aux façades colorées. Les étals de chaussures en cuir, de fruits et légumes ajoutent un certain charme aux côtés des terrasses de bars et trattorias d’où s’élève le brouhaha latin. Les véhicules sont humbles et tellement typiques : bonne vieille Panda 4x4, tricycle Piaggio avec benne ou encore le célèbre Vespa. L’accueil y est chaleureux. Sur la place où s’écoule la fontaine, tout le monde discute pour nous trouver un endroit où passer la nuit. Liana nous accompagne deux kilomètres plus loin au pied de l’église “madonna del Fanghi”. Louisa et Alessandra arrivent au crépuscule pour offrir l’apéro et… un sac de céréales qu’elles se sont évertuées à dénicher.


Il Monte Galero.

Une carte approximative trouvée dans un tabac trace l’Alta Via. Nous tentons de suivre son balisage blanc et rouge, un peu à l’aveuglette car nous ignorons tout du terrain qu’elle réserve. Le ciel est couvert, froid et humide. Nous pensions éviter les importants dénivellés en passant par ces hauteurs, mais les chemins partent droits dans les pentes. Ils sont étroits, drôlement pierreux ou carrément terreux et rendus glissants par la pluie. Sur la dorsale du Monte Galero, nous avançons en rangs d’oignons dans le brouillard avec une sorte de vertige. L’impression de marcher sur une colone vertébrale dans le vide est extraordianaire. De chaque côté, on ne peut deviner la fin des pentes qui se perdent dans les nuages. Une île flottante ou bien le pistil du haricot magique. Le tableau n’est vraiment dressé que lorsque le tonnerre retentit au moment où le pic du Monte Galero sort de la brûme. Le sentier s’élève raide comme la justice pour aller chatouiller les 1 708 mètres. Non merci ! Un autre tracé part dans les bois et paraît redescendre. L’issue est toujours incertaine dans ce genre de reliefs, mais au moins nous ne serons pas à découvert lorsque Jupiter exprimera sa colère. Après maints passages délicats et éprouvants, nous arrivons enfin au Colle San Bernardo. La carte indiquait une auberge. Comme nos chevaux à la vue d’une belle touffe verte, l’idée d’un bon repas à la fin de l’étape est encourageant. Qu’elle n’est pas notre déception devant ces baraquaments abandonnés dans le brouillard. Le grinçement des éoliennes confèrent au lieu une atmosphère des plus glauques.
Heureusement l’herbe est au rendez-vous, mais pas l’eau. En furetant, je rencontre Monica et Sandro qui me proposent d’aller en chercher à leur village à quelques kilomètres de là. Ils me présentent alors Claudio Garvetto qui possède les écuries voisines. Son aide et ses conseils sont précieux. Il offre un sac de floconnés, trace et explique les meilleurs chemins. L’idée est de sortir de la montagne sans pour autant rentrer dans la plaine du Pô et son agriculture intensive. Un de ses amis a perdu son cheval l’année dernière sur cette Alta Via. Cela conforte la décision que nous venions de prendre avec Clio : quitter cette route du sel qui pose problème pour plusieurs raisons. Premièrement, elle est tout simplement trop périlleuse pour y passer à cheval, encore moins avec deux chevaux bâtés. Certains passages ne permettent pas l’erreur et à force de trop jouer avec la chance elle peut finir par nous quitter. Elle est aussi dure physiquement pour les chevaux, malmenant leurs dos. De plus, la végétation est essentiellement constituée de forêt et il est guère aisé de trouver un bon endroit de bivouac le soir venu, rallongeant souvent les étapes. Le temps peu clément rend les chemins glissants et a causé de nombreux éboulements bloquant le passage. Il est d’ailleurs peu conseillé et peu rassurant de se trouver en pleine montagne lorsque sévit l’orage. Suivre uniquement ce sentier ne facilite pas le ravitaillement puisqu’il passe par les plus hauts sommets en évitant les villages situés dans les vallées. Par contre le paysage est sublime, mais nous voyageons aussi pour rencontrer et échanger. Il est vrai que lorsque l’on est loin des gens, on cherche à aller vers eux, et lorsqu’ils sont trop nombreux, on cherche à les fuir. La dualité de l’homme paraît-il. Nous allons donc longer les collines de la Ligurie tout en évitant les rizières de la région de Turin. Les abords du fleuve Pô sont réputés pour leurs “zanzare” (moustiques) assoiffés de sang.

Liberté, égalité, humidité !

Un peu avant Calizzano, notre bonne étoile ne nous a pas laché cette fois-ci. On se doutait bien d’un truc bizzare, et pas des moindres au vu de la taille des crottins au milieu de la piste. Un troupeau de juments et poulains de traits débarquent accompagné d’un type hirsute qui lâche : “Sei en una bella merda !”. Ca on pense bien l’avoir compris. “Viene il più bello !”. Ah et c’est qui celui-là ? “Un stallone, Trait-breton…”. Forcément il y a comme un hic. Tout ce beau monde en liberté bien sûr, avec deux zouaves qui n’ont vraiment pas l’air de tout maîtriser. Volte-face pour trouver un endroit où se planquer et se croiser. On a bien failli revivre une débandade digne des Causses du Quercy. Nous apprenons par la suite que cet étalon avoisinant les 800 kg est souvent en liberté et est réputé pour attaquer les autres chevaux de passage. Le type lui, considéré comme “un peu fou”. Voilà qui est rassurant…
De village en village, nous complétons les informations de Claudio concernant les pistes inexistantes sur notre carte au 1/200 000e. A Montezemolo, nous comptions sur une de ses connaissances pour prendre le relais. L’hospitalité est au rendez-vous mais pas les indications promises. Il nous faudra faire un peu d’asphalte. Le manège de Mario Gallo est non seulement un lieu de travail équestre, mais aussi un lieu de vie en autonomie alimentaire. Foin, céréales, potager, vaches laitières et élevage de viande, élaboration de produits finis comme le fromage et la charcuterie, mais uniquement pour leur consommation personnelle. Mario est aussi maréchal-ferrant. Heureux hasard car il nous faut referrer Oro.

Sergio, Paola et Cécilia.
Nous mettons les sabots dans le Piemonte, entre plaine et montagne. Cette région est encore vallonée mais la culture viticole rend plus compliqué la mission de trouver des pâturages. On découvre dans les fossés une drôle de couleur chimique bleue turquoise qui laisse à penser sur la qualité de l’eau pour abreuver nos animaux.
Cécile et Lolo nous apportent leur vision d’un vent d’est au retour de leur voyage en camion dans les Balkans. C’est ensuite Pivy et Lulu qui décident de passer du temps avec la famille de Clio arrivée depuis peu. Il faut réussir à caser tout ce petit monde. Nous nous mettons en quête d’un “agriturismo” où une troupe de sept français, quatre chevaux, trois chiens, et deux fourgons ne dérangeraient pas. Nous toquons à l’azienda agricole biologique Luna di Miele à Monastero Bormida. Sergio et Paola nous accueillent à bras ouverts. Voyageant eux-mêmes souvent en France, adeptes du woofing, ils refusent de recevoir le moindre centime en échange de leur hospitalité. “Si vous aviez voulu une 
Ze french touch'
chambre d’accord, mais pas pour un emplacement. La terre ça ne coûte rien et c’est à tout le monde.” Argumente avec justesse Paola. Une maison pleine de vie habitée par les grands-parents, les deux petites filles Nicoletta et Adela, ainsi que par Helen et Cécilia qui offrent leur services de woofer. Par la suite ce sont de grandes tablées qui s’organisent. Ils nous convient tous à la fête du Rabiola, un fromage a patte molle. Un repas sur donation a lieu dans un sublime corps de ferme. La musique proche du folklore breton ou occitan donne lieu a des danses conviviales.
Georgio.
Didier et Patricia font le tour des châteaux des anciens duchets protégeant chaque village de la région, et des villes comme Acqui-Terme aux trompes-l’oeil peints sur les façades. Ils assurent l’intendance pour une semaine, permettant à Tim, Lulu et Pivy de goûter quelques étapes à cheval. Nous découvrons aussi les dîners à rallonge italiens : apéritivo, primi antipasti, secondi antipasti, primi piati, secondi piati, fromaggio, dolce, cafe, grappa… pour une vingtaine d’euros. La panse nous éclate dans cette azienda argentine, ou encore avec Georgio à Lerma. Ce dernier que Clio a rencontré à la fête du Rabiola met un point d’honneur à nous héberger. Comme l’étape est trop longue, il nous dégote une écurie à mi-chemin chez Maoro à Molare. Cécilia avec qui nous nous sommes liés d’amitié vient passer régulièrement du temps avec nous. Elle nous prévoit ensuite
Cécilia et Nico.

quelques jours de repos à l’azienda de Tassarolo. Elle y avait suivi un stage d’agriculture viticole à traction animale. Par son biais, nous faisons connaissance de Nico, un franco-italien qui est meneur de chevaux de trait depuis peu. Il aide aujourd’hui Henry et Massimilia dans leur volonté de développer cette activité avec quatre Comtois. Un travail qui demande d’être assidu. Nous donnons un coup de main avec Tim, Angy et Arthur pourtant venus en vacances, pour arracher les mauvaises herbes qui prennent vite le dessus dans une culture bio.


Titouan, Nico et Henry.

Bien qu’aidés de quelques cartes trouvées dans les offices de tourisme, nous empruntons beaucoup de routes bitumées jusqu’à la digue de Ruino. La bonne fortune se présente sous forme d’un sentier aménagé longeant la fleuve Tidone, affluent du Pô. Cinquante kilomètres avant d’atteindre le maître de la plaine. Cela fait encore changer notre trajectoire, mais nous avons dans l’idée de traverser les cent-cinquante kilomètres de plaine d’une autre manière. Autre heureuse coïncidence, Mario et Daniela entretiennent le chemin. Passionnés de randonnée équestre, ce sont les deux motivés à l’initiative de l’ouverture de ce génialissime sentier du Val Tidone. Voulant absolument nous aider, ils nous mettent en contact avec Claudio et Martina, propriétaires d’un manège western a Boscone Cusani, à l’autre bout du chemin. Ils peuvent nous accueillir et nous rendre un certain service.
Claudio et Martina.
Les collines s’estompent, les villages perdent de leur charme. Les briques remplacent les couleurs joyeuses des maisons. Les aziendas viticoles font place aux fermes laitières de production intensive. Les vaches sont entassées par milliers dans des stales malodorantes, les pis blessés et prêts à éclater. Les tas de fumier sont légion. Dehors, ce n’est que maïs et luzerne arrosés de produits chimiques. Des pannonceaux préviennent de leur dangerosité persistante. L’eau des fossés est repoussante, véritable nurserie de moustiques. Cette plaine ne présage rien de bon. Il n’y a pas de place pour nous ici.
A Boscone Cusani, Claudio nous offre la possibilité d’une semaine de repos pour la tribu. Nous y découvrons les différentes disciplines western. Le team peining, le ranch sorting, le reining et le working cow. C’est cette dernière qu’ils préparent pour la compétition de la semaine prochaine à Padova. C’est une combinaison du reining qui est le dressage de la monte western, et du travail d’un cavalier face à un veau. On ne compte plus les médailles remportées par le club CS horses, sans parler du titre de champion d’Italie de Claudio.



Libertà ! Rencontre avec le quotidien de Piacenza.

De notre côté, nous sommes préoccupés par la mauvaise adéquation entre nos selles de bât et le dos de nos poneys. La chaleur aggravant la moinde faille, ils causent des gonfles à répétition de par leur faible surface d’appui et leur mauvais galbe. Nous avons déjà tenté de modifier les arçons, changé les tapis de selle. Les derniers de JMS sont le top. Nous respectons les pauses et le temps au déseller. Nous ne savions plus quoi faire lorsque nous voyons sur le site du sellier Hugues Petel deux bâts que nous convoitions. De bonne réputation, on espère qu’ils résoudront notre problème. Pour ce faire, tout se goupille pour ne plus sembler être du hasard. Cécilia que nous avions rencontré à Monastero Bormida nous avait proposé de nous accueillir chez elle, à côté de
Le bat Prairie.
Verona. Elle accepte de nous aider pour trouver un endroit pour les chevaux et de recevoir les colis  contenant les nouveaux bâts à son domicile. Claudio et Martina transportent toute notre équipe de Piacenza à Verona. Il leur restait de la place dans leur camion à chevaux pour aller à leur compétition, nous arrangeant considérablement sur le prix à payer. Ainsi, nous sautons cette sordide plaine du Pô que nous aurions mis plus d’une semaine à traverser. Nous pouvons également procéder au changement de matériel. L’aide de Cécilia nous est tellement précieuse et tellement offerte de bon coeur qu’on ne la remerciera jamais assez.
Paolo.
Les chevaux sont en sécurité et en repos au Gran Vayo Ranch de Paolo. Nous vaquons à nos occupations et adaptations de selles. Cécilia nous convie à la “sagra del paese” de Sommacampagna. Cette fête de village dure une semaine et comprend spectacles équestres, danses, repas, feux d’artifices, foire agricole, manèges forains… jours feriés et bars remplis de citoyens joviaux.
Nous assistons aussi à la compétition western et au retour faisons la connaissance de Daniele. Il est guide équestre sur Brogliano, proche de Vicenza, et nous fourni les cartes de sentiers praticables de Verona jusque chez lui.
Claudio dans l'excellence du working cow.
Cécilia nous emmène découvrir la belle cité de Verona. Pleine de classe et d’histoire, son architecture est d’une rare beauté. Entre arènes et monuments de multiples époques, les places vibrent de vie. La plus vieille pièce rajoutée est sûrement cette défense de mamouth suspendue sous cette arche ! Ville natale de Roméo et Juliette, les amoureux du monde entier viennent accrocher des cadenas sous le célébrissime balcon des amants qui ont inspiré William Shakespeare.
Voici en tout quinze jours de repos propices à la bonne guérison des dos de Nanouk et Vasco. Clio a même changé sa selle, une TH cuir trop fermée qui montait sans cesse sur les épaules peu marquées de Nanouk. Elle a choisi la Coureur de prairie d’Hugues Pétel et Emile Brager, plus large et avec plus de surface d’appui. Nous reprenons confiants la direction de l’altipiano de Lessinia, à 1 500 mètres d’altitude. Passer par ces beaux alpages permet de contourner la plaine et évite d’escalader les six vallées qui y descendent. Nous ne verrons l’immense lac de Garde que de loin, offrant un clin d’oeil au soleil couchant. Parfois nous avons vraiment l’impression d’avoir le plus grand jardin du monde… pas mal du tout.


La horde sauvage.

Cécilia, notre ange gardien n’est pas très loin. Elle vient à notre rencontre avec Massimo et ses amis du manège de Cavalo. Quel accueil ! Quinze cavaliers férus de randonnée nous escortent jusque chez eux pour déjeuner ensemble. Une bien belle tablée en si bonne compagnie. Comme dirait notre vieux gaulois Obélix : “ils sont fous ces romains !” Voilà qu’ils font tourner une enveloppe pour récolter des fonds et participer ainsi à notre voyage. Nous faisons tout pour refuser, mais moins nous acceptons et plus nous les vexons. Un grand merci ! Nous pensons que les rêves sont faits pour être réalisés, et ils l’ont bien compris.
La horde sauvage se remet en route. Quelle splendeur tous ces cavaliers qui arpentent les pieds des alpes. Les petits chemins d’école buissonière sont délimités par de grosses dalles de pierre, les mêmes qui coiffent les maisons. Des carrières font de la montagne un vrai gruyère. Ce n’est pas pour rien que le nom du village Cavalo trouve son étymologie dans le terme “cavare” qui signifie extraire. C’est d’ici que provient toute la matière première de l’édification de la cité de Verona.
Notre belle troupe fait étape aux écuries de Lucas, Laura et Chicco, trois d’entre eux. Ils concluent cette journée autour d’un gros plat de “pasta aldente” et Fernet en digestif. Le grand air ça creuse et ça donne soif !
La folle chevauchée.
Cécilia et Laura nous accompagnent le lendemain. Elles auraient bien prolongé cet instant encore quelques jours, quelques semaines… Fabio, alias Vecchio Lupo, ancien guide équestre fait aussi partie de l’expédition. Mais nous nous séparons bientôt à Fossé, chacun reprend son chemin respectif. Les adieux avec Cécilia sont émouvants. Elle s’est jetée à corps perdu dans cette aventure et nous a encore montré à quel point l’humanité peut-être belle. Grâce à elle ces derniers jours ont été riches en rencontres.

Malga Grolla et ses toits de pierres.
Nous quittons ces nouveaux amis pour rejoindre les vaches des hauts alpages. Le climat de l’altipiano se fait plus hostile. Orages, vent froid. A 1 700 mètres, ça caille vraiment. Des petits coups de sifflets nous interpellent. Des petites boules de poils bien équipées contre les courants d’airs nous guettent debout sur leurs pattes arrières, puis font disparaître leur gros postérieur dans leurs terriers. Lorsqu’elles se savent hors d’atteinte, certaines marmottes ne se préoccupent même pas de nous et continuent de se prélasser sur les rochers. Des chamois débonnaires leurs tiennent compagnie, plus ou moins en sécurité dans ce parc naturel. Les loups y sont nombreux également, mais toujours invisibles. Ici il a toujours eu sa place, et les éleveurs paraissent davantage l’accepter qu’en France. Il faisait partie des lieux bien avant eux. De temps en temps, un ours passe la frontière slovène et émigre sur le territoire. Comme tous les sans papiers, il est surveillé de près. Malheureusement, lorsque ces animaux à la mine pas si patibulaire que ça deviennent trop familiers et rôdent autour des habitations, ils sont alors considérés comme dangereux et abattus.
Andrea et Léonardo.
Léonardo et Andrea nous sauvent de l’innondation orageuse en nous prêtant la maison de leur “malga”. Ils préfèrent vivre au village plutôt que de passer l’estive à la vacherie, coupés du monde. En contrepartie, ils demandent qu’on leur envoie une carte postale. Ce sera chose faite ! Les gros eux, apprivoisent les vaches qui les observent de très près et d’un oeil curieux.
Le sentier muletier plonge vers Giazza. Tout est encore sauvage mais par chance, il est encore entretenu, seul passage à des kilomètres à la ronde. Nous y croisons deux suissesses qui se rendent à Verona à pied. C’est effectivement un bout du sentier européen E5 qui relie la Pointe du Raz à Venezia. 
Buona fortuna les filles !

Daniele et Marzia.
Tout un chacun déplore cet été “bruto”, mauvais. Nous sommes mi-septembre et il est vrai qu’entre deux beaux rayons de soleils nous n’avons pas arrêté de nous faire rincer. Aujourd’hui encore. Les deux dernières étapes sont longues pour tout le monde, mais nous trouvons un grand réconfort et une belle amitié chez Daniele et Marzia à Brogliano. Nous sommes maintenant implacables sur les cartes de pizzas. Une spécialité qui se veut conviviale, économique, et surtout toujours délicieuse. Simples et fines, la base de l’alimentation des italiens est un secret bien à eux et inégalé. Le(s) limoncello(s) est de rigueur au moment de l’addition. Mais ce n’est pas seulement pour les quelques gueules de bois qu’il nous faut faire un peu de repos. D’après le vétérinaire, la gonfle de Vasco est revenue car le muscle n’était pas guéri en profondeur. Il va falloir fabriquer un tapis de selle troué pour poser l’harnachement sans charge sur son dos, ainsi éviter l’appui à l’endroit lésé, et marcher à côter pour un bon moment. Daniele nous accompagne la journée de départ. Lui aussi aurait bien poussé un peu plus loin !

C’est aujourd’hui le 21 septembre, c’est à dire déjà l’automne. Pour les escargots que nous sommes la mer Noire et encore plus le Caucase nous paraîssent bien lointains, et l’hiver si proche… On se rend cependant compte qu’il n’y a pas besoin de courir pour vivre de belles aventures et faire de belles rencontres, bien au contraire. Alors nous restons fidèles à ce proverbe italien :

“Chi va piano, va lontano e sano.
Chi va forte, va a la morte !”