lundi 22 septembre 2014

Calorosa Italia.

File indienne sur les hauteurs alpines.


Avec l’aide de l’entourage de Gé et Méli, nous avons réussi à nous décider concernant l’itinéraire qui semble le plus approprié. Thomas nous a dégotté des cartes au 1/25 000e jusqu’à la frontière. Une carte en relief a permit de se rendre réellement compte de l’orientation des crêtes et vallées. Elles ne sont plus d’ouest en est, mais du nord au sud, compliquant notre traversée. Les bergers nous ont indiqué leurs chemins de transhumances. Il va nous falloir passer le massif des alpes en dents de scie, franchir la vallée du Var, de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya. Nous évitons ainsi la basse montagne avec ses vallées encore plus nombreuses et plus 
Sur les hauteurs de Clans.
urbanisées, tout en passant sous les hauts monts pelés du Mercantour avoisinant les 3 000 mètres d’altitude. Nous choisissons les alpages estivaux entre 1 300 et 2 000 mètres.
Des orages sont prévus tous les jours, et pour une fois la météo ne se trompe pas. Nous nous levons à l’aube afin de couvrir le maximum de distance avant le déluge, prévoyant de ne pas se retrouver coincés en zone trop exposée à la foudre. Après avoir franchi le Var, nous remontons par les gorges du Cians, coincés entre des falaises de roches ocres aux allures de forteresse. Ces murailles s’effrittent sous l’effet de l’infiltration d’eau de pluie, marquant le bitume d’impacts. Motos, voitures et bus nous frôlent à toute vitesse et sans vergogne. La route sans visibilité devient stressante. Vivement que nous regagnons nos montagnes ! Mais le danger n’est pas moindre une fois sur les sentiers d’altitude. Escarpés, en dévers, détrempés, nous passons en file indienne, faisant confiance, ou plutôt espérant le calme et l’agilité de nos chevaux. Parfois, nous retenons notre respiration pour écouter que le terrain ne se dérobe pas sous leur poids. Une bande de vététistes essoufflés poussent leurs vélos à la main tellement le sentier est ardu. Ils sont impressionnés que nous puissions passer par de tels endroits. Cela n’est pourtant que l’échauffement face à ce qu’il nous reste à parcourir.



Rues effritées de Lantosque.
Nous campons au milieu des troupeaux de vaches en liberté. Elles coulent de douces journées sur ces alpages verdoyants. Les chevaux font bombance loin du harcèlement des taons et compagnie. L’air y est pur et frais. Lorsque le soleil daigne pointer ses rayons au matin, il illumine toute la chaîne de montagnes devant nous. Cela galvanise. Nous pensons à ces meutes de loups imprenables, bandits du monde paysan. Plus d’un souhaiterait mettre leurs têtes à prix. On peut lire de rageurs “mort aux loups” tagués sur les bords de route. Il serait plus juste d’inscrire “mort aux cons”. Maîtriser, anéantir, régner est la devise de l’homme qui se veut civilisé dans le plus grand déni de sa planète. Seul lui importe son petit confort.
La rêverie fait place à la fatigue et au désespoir de l’effort fourni en vain lorsqu’il faut faire demi-tour face à de grands ravins d’éboulis. Le soleil brûlant se voile, le temps devient pesant et arrache de grosses gouttes de transpiration. Temps perdu et patience à rude épreuve. Des erreurs à des embranchements ou des chemins qui disparaissent nous confrontent parfois à des situations compliquées, à des passages étroits où les manoeuvres avec quatre poneys chargés sont laborieuses, puis il faut refranchir les différents obstacles.
Lucien et sa grande soif.
Sur les hauts de Bairols, Lucien et sa famille font bombance. Ils nous offrent la récompense de cet acharnement. Alors que notre ventre crie famine, ils nous convient à une paella en plein air pour leur crémaillère. Les chevaux enfin sur terrain plat dévorent l’herbe tant attendue.
De 1 500 mètres d’altitude, il faut plonger au coeur de la vallée de la Tinée qui surplombe d’à peine 500 mètres le niveau de la mer. Bien avant que la route asphaltée ne fasse la liaison, les voies d’accès n’étaient que des chemins muletiers escaladant la roche. Suffisamment larges, ils permettaient le passage des charrettes et calèches. Les pierres sont glissantes et aujourd’hui le chemin s’est rétrécit car peu emprunté. Des vestiges de crottins nous rassurent sur l’issue du sentier.
Phillipe, le boulanger de Pont-de-Clans adepte de tout-terrain nous renseigne sur la qualité des chemins à venir. Pour couper une trop longue piste, nous nous engageons sur l’étroit chemin de la “Vallière obscure” où il dit être passé trois semaines plus tôt. Rien qu’au nom on aurait dû se méfier. Une énorme roche et un arbre se sont éboulés en travers. Je joue la carte de l’aventure et passe.
Rustine, fiére de son ascencion.
Vasco touche avec les mallettes et manque de mettre les postérieurs au ravin. Clio veut jouer la carte de la sécurité mais forte tête, je la convainc. On débâte et on passe le reste de l’équipe. Manque de chance, vingt mètres plus loin, une autre embuscade accompagnée des premières gouttes de pluie. Bien joué Arno ! Il faut porter les mallettes beaucoup plus loin car impossible de rebâter Oro qui est insupportable dès que Nanouk est hors de sa vue. Vasco fait rebondir son gros bidon sur la roche, se déporte et se rattrape de justesse. Je lui avait pourtant dit de rentrer son ventre ! Lorsqu’on se remet enfin en marche, la tourmente explose, la foudre est toute proche et nous fait sursauter et nous attachons tout le monde court dans la forêt de pins. Nouvel arbre en travers, heureusement nos petits chevaux passent tout juste en dessous. Sortis de cette galère, l’orage s’estompe mais nous sommes trempés jusqu’à la moelle. Nous n’avions pas eu le temps d’enfiler tout notre barda imperméable. Une maison forestière offre un endroit pour un possible bivouac. Un autochtone passe en quad. Nous le questionnons sur notre suite. Il nous apprend aussi que Phillipe est en réalité champion du monde de moto de trial “Le boulanger ? Il passe partout lui !” S’exclame-t-il en rigolant.
Un sabot dans le ciel.
Peu fier, pour me rattraper, ne pas faire de détour et surtout arriver tous entiers, je pars en reconnaissance. Une quête de sentiers et d’anciennes pistes forestières potables. L’ambiance post-orageuse est magique. Tous les sommets des Alpes flottent au-dessus des nuages telles de petites îles sur une mer de coton. Le silence sur cette immensité est ennivrant. Tous simplement magnifique, gigantesque, sauvage. Il est si rare de voir de tels paysages. Littérallement soûlé de beauté, je crapahute trois heures durant avec quelques chamois, eux-mêmes surpris de croiser un énergumène excité comme cela. J’ai enfin trouvé un passage jusqu’au col d'Andrion. Nous repassons le lendemain sur les cîmes mais la ouate magique s’est évaporée. La dimension est encore autre. La mer et la montagne ont cela en commun. Le pouvoir de se transformer au point d’être méconnaissables, d’un panel d’une douceur émouvante jusqu’à une rage destructrice.

Paule la Cougourde !
 Passé les vacheries et anciennes casernes de chasseurs alpins, nous redescendons encore une fois au ncoeur d’une vallée, la Vésubie. Les deux juments échappées de Jean-Louis forcent la rencontre. Celui-ci offre de nous prêter un pré clôturé pour une journée de repos à Lantosque. Le petit village perché sur les gorges de la rivière turbulente est plein de charme. Vieilles maisons coincées les unes entre les autres, ruelles pavées étriquées surplombées de balcons en bois fatigués, ruines en pierres. On entend déjà parler italien parmis les maçons. Les anciens parlent un  patois similaire, le cougourdi. Paule, la voisine, se vante d’ailleurs d’être une Cougourde, ce qui veut dire courge explique-t-elle hilare en nous faisant goûter ses délicieux beignets aux fleurs de courgettes. Le floklore est très présent dans cette région. Elle-même fait partie d’une chorale de tambours et mirlitons qui rappelle celles des carnavals suisses. Des jeunes organisent des fêtes de villages avec concours de Vitou, un jeu de cartes, ou encore de Pilou : dans la jeunesse de Paule, les garçons faisaient rouler du bout des pieds et le plus longtemps possible de vieilles pièces de centimes trouées dans lesquelles était enfilé un tube de papier.


Balcon de l'Authion.


Nous attaquons un nouveau dénivellé de 1 000 mètres arraché au bout de deux heures de grimpe. Nous marchons énormément à pied ces derniers temps pour soulager nos destriers. Le grand mérite revient aux chevaux de bât dont le poids de la charge morte est accentué lors des montées et descentes. Ils transpirent énormément et leurs dos sont mis à rude épreuve. De la dense forêt, nous débouchons sur la station de ski du col de Turini pour ensuite gravir le célèbre mont de l’Authion. La vue imprenable donnant jusqu’à la méditerranée en a fait un point stratégique convoité. Trois forts y ont été érigés vers 1860 pour surveiller une éventuelle et redoutée invasion alors que la Roya appartenait encore aux italiens. Les casernes permettaient l’essort des villages environnants, remplissant bar, bals, épiceries. Les habitants leurs fournissaient bois et fourrage… On aperçoit encore, tout comme dans les Cévennes, les terrasses abandonnées à flancs de montagnes. L’adret était dédié aux cultures céréalières alors que l’ubac était davantage réservé aux fruitiers. Les forêts de mélèzes procuraient la matiére première pour les charpentes.
Aux mains des fascistes durant la seconde guerre mondiale, la première division française libre y a livré et remporté bataille en avril 1945. La frontière actuelle que l’on connait sera redessinée en 1947. Les ruines et une carcasse de char Stuart témoignent des violences passées. Aujourd’hui partie intégrante du parc national du Mercantour, il est gardé par de paisibles vaches armées de cloches, et dont le lait produit de savoureuses tommes.

Frontière, chemin de contrebandiers dans les nuages.

Nous fondons sur la Roya où nous chinons des informations sur les prochains sentiers. L’un d’eux a peu près praticable permet d’aller à La Brigue où se déroule une fête médiévale. Il nous faut tout de même débâter pour franchir un ébouli stabilisé qu’un sapin rend étroit d’un côté, et au vide menaçant de l’autre. L’emprunte italienne est de plus en plus marquée. C’est agréable et dépaysant d’entendre parler le brigasque, un patois voisin de la langue romane. Devant nous se dresse la frontière naturelle, une véritable muraille, une ligne de crêtes à 2 000 mètres d’altidude. Son ascension se gagne à la sueur de notre front. La chaleur écrasante ne présage rien de bon. C’est en plein milieu des nuages que nous arrivons à la baisse de Samson. On ne voit plus à vingt mètres et un grondement sourd tourne autour. Nous nous pressons dare-dare pour dresser un campement de fortune afin de se mettre à l’abris ainsi que les affaires… et puis rien ! L’orage passe sans exprimer sa fureur, les nuages découvrant l’Italie. Nous repartons sur les traces de “l’Alta Via dei monti liguri”. Aussi appelée ancienne route du sel, c’est par les chemins muletiers reliant les plus hauts monts de la Ligurie que transitait la précieuse denrée des côtes vers les terres. Cette voie permettait d’éviter les vallées et ainsi de minimiser les efforts à fournir. La piste est large, mais ce n’est malheureusement pas la première tempête à passer par là. Des arbres tombés en travers barrent le chemin tous les dix métres. Nous modifions notre itinéraire et bifurquons vers le Passo de la Guarda et le Colle Garrezzo. C’est sûrement mieux ainsi. Nous évitons les cîmes en cas de changement de temps brutal. D’ailleurs les premières gouttes s’annoncent. Vasco déferre au même moment. Je recloute prestement le fer avant le déluge. Désespérant de trouver un endroit où camper, nous avançons encapuchonnés sous nos imperméables. Il n’y a que de la forêt ou des pentes vraiment trop abruptes. Lorsque le calme revient, un berger roumain vient à nous. Nous nous essayons à nos premiers échanges en italien. Dur dur, mais ça a l’air de marcher. Il nous accompagne pour nous protéger des patous, et finalement nous dégotter une aire de pique-nique plane avec un peu d’herbe et une source.
Crete plongeante sur la méditerranée.

Au Colle Garrezzo la piste s’est éboulée. Il n’y a pas d’autres choix que de descendre vers Pieve di Teco. Le voisin de Paule à Lantosque nous a offert une carte au 1/50 000e de la région. Après quelques tentatives pour emprunter pistes et sentiers, certains ne sont plus que de succintes traces lorsqu’ils ne disparaissent pas complètement. Nous réalisons que le dernier relevé de la carte date de cinquante ans. Nous restons sur les alpages d’une crête qui descend dans la vallée, devinant ce qui devait être le chemin. Bien des choses ont changées. Une berge a été envahie par les brousailles. Clio a la mauvaise idée de déranger les nouveaux locataires en mettant un pied dans leur nid. Une nuée de guêpes  s’envolent et piquent. Le demi-tour de l’équipe est aussi surprenant que véloce !
Nous quittons les Alpes, saluant leurs hauts pics enneigés qui se dressent au loin. Leur stature est massive, des monts à 3 000 mètres entre Tende et Cunéo.

Benvenuti !
Pieve di Teco nous séduit par ses petites échoppes sous les arcades de ses rues pavées. Ici pas de supermarchés, mais de petites épiceries aux produits locaux et spécialitées culinaires à vous déclencher le reflexe de Pavlov rien qu’à entendre leurs noms : prosciutto crudo, fromaggio di capra, pepperoni con tono, focaccia, pulpo al oleo, dolce, gelato, et la fameuse birra Moretti. Plein de choses à grignoter et à découvrir qui font papilloter les papilles.
L’architecture est celle d’un village de montagne aux petites ruelles humides, aux façades colorées. Les étals de chaussures en cuir, de fruits et légumes ajoutent un certain charme aux côtés des terrasses de bars et trattorias d’où s’élève le brouhaha latin. Les véhicules sont humbles et tellement typiques : bonne vieille Panda 4x4, tricycle Piaggio avec benne ou encore le célèbre Vespa. L’accueil y est chaleureux. Sur la place où s’écoule la fontaine, tout le monde discute pour nous trouver un endroit où passer la nuit. Liana nous accompagne deux kilomètres plus loin au pied de l’église “madonna del Fanghi”. Louisa et Alessandra arrivent au crépuscule pour offrir l’apéro et… un sac de céréales qu’elles se sont évertuées à dénicher.


Il Monte Galero.

Une carte approximative trouvée dans un tabac trace l’Alta Via. Nous tentons de suivre son balisage blanc et rouge, un peu à l’aveuglette car nous ignorons tout du terrain qu’elle réserve. Le ciel est couvert, froid et humide. Nous pensions éviter les importants dénivellés en passant par ces hauteurs, mais les chemins partent droits dans les pentes. Ils sont étroits, drôlement pierreux ou carrément terreux et rendus glissants par la pluie. Sur la dorsale du Monte Galero, nous avançons en rangs d’oignons dans le brouillard avec une sorte de vertige. L’impression de marcher sur une colone vertébrale dans le vide est extraordianaire. De chaque côté, on ne peut deviner la fin des pentes qui se perdent dans les nuages. Une île flottante ou bien le pistil du haricot magique. Le tableau n’est vraiment dressé que lorsque le tonnerre retentit au moment où le pic du Monte Galero sort de la brûme. Le sentier s’élève raide comme la justice pour aller chatouiller les 1 708 mètres. Non merci ! Un autre tracé part dans les bois et paraît redescendre. L’issue est toujours incertaine dans ce genre de reliefs, mais au moins nous ne serons pas à découvert lorsque Jupiter exprimera sa colère. Après maints passages délicats et éprouvants, nous arrivons enfin au Colle San Bernardo. La carte indiquait une auberge. Comme nos chevaux à la vue d’une belle touffe verte, l’idée d’un bon repas à la fin de l’étape est encourageant. Qu’elle n’est pas notre déception devant ces baraquaments abandonnés dans le brouillard. Le grinçement des éoliennes confèrent au lieu une atmosphère des plus glauques.
Heureusement l’herbe est au rendez-vous, mais pas l’eau. En furetant, je rencontre Monica et Sandro qui me proposent d’aller en chercher à leur village à quelques kilomètres de là. Ils me présentent alors Claudio Garvetto qui possède les écuries voisines. Son aide et ses conseils sont précieux. Il offre un sac de floconnés, trace et explique les meilleurs chemins. L’idée est de sortir de la montagne sans pour autant rentrer dans la plaine du Pô et son agriculture intensive. Un de ses amis a perdu son cheval l’année dernière sur cette Alta Via. Cela conforte la décision que nous venions de prendre avec Clio : quitter cette route du sel qui pose problème pour plusieurs raisons. Premièrement, elle est tout simplement trop périlleuse pour y passer à cheval, encore moins avec deux chevaux bâtés. Certains passages ne permettent pas l’erreur et à force de trop jouer avec la chance elle peut finir par nous quitter. Elle est aussi dure physiquement pour les chevaux, malmenant leurs dos. De plus, la végétation est essentiellement constituée de forêt et il est guère aisé de trouver un bon endroit de bivouac le soir venu, rallongeant souvent les étapes. Le temps peu clément rend les chemins glissants et a causé de nombreux éboulements bloquant le passage. Il est d’ailleurs peu conseillé et peu rassurant de se trouver en pleine montagne lorsque sévit l’orage. Suivre uniquement ce sentier ne facilite pas le ravitaillement puisqu’il passe par les plus hauts sommets en évitant les villages situés dans les vallées. Par contre le paysage est sublime, mais nous voyageons aussi pour rencontrer et échanger. Il est vrai que lorsque l’on est loin des gens, on cherche à aller vers eux, et lorsqu’ils sont trop nombreux, on cherche à les fuir. La dualité de l’homme paraît-il. Nous allons donc longer les collines de la Ligurie tout en évitant les rizières de la région de Turin. Les abords du fleuve Pô sont réputés pour leurs “zanzare” (moustiques) assoiffés de sang.

Liberté, égalité, humidité !

Un peu avant Calizzano, notre bonne étoile ne nous a pas laché cette fois-ci. On se doutait bien d’un truc bizzare, et pas des moindres au vu de la taille des crottins au milieu de la piste. Un troupeau de juments et poulains de traits débarquent accompagné d’un type hirsute qui lâche : “Sei en una bella merda !”. Ca on pense bien l’avoir compris. “Viene il più bello !”. Ah et c’est qui celui-là ? “Un stallone, Trait-breton…”. Forcément il y a comme un hic. Tout ce beau monde en liberté bien sûr, avec deux zouaves qui n’ont vraiment pas l’air de tout maîtriser. Volte-face pour trouver un endroit où se planquer et se croiser. On a bien failli revivre une débandade digne des Causses du Quercy. Nous apprenons par la suite que cet étalon avoisinant les 800 kg est souvent en liberté et est réputé pour attaquer les autres chevaux de passage. Le type lui, considéré comme “un peu fou”. Voilà qui est rassurant…
De village en village, nous complétons les informations de Claudio concernant les pistes inexistantes sur notre carte au 1/200 000e. A Montezemolo, nous comptions sur une de ses connaissances pour prendre le relais. L’hospitalité est au rendez-vous mais pas les indications promises. Il nous faudra faire un peu d’asphalte. Le manège de Mario Gallo est non seulement un lieu de travail équestre, mais aussi un lieu de vie en autonomie alimentaire. Foin, céréales, potager, vaches laitières et élevage de viande, élaboration de produits finis comme le fromage et la charcuterie, mais uniquement pour leur consommation personnelle. Mario est aussi maréchal-ferrant. Heureux hasard car il nous faut referrer Oro.

Sergio, Paola et Cécilia.
Nous mettons les sabots dans le Piemonte, entre plaine et montagne. Cette région est encore vallonée mais la culture viticole rend plus compliqué la mission de trouver des pâturages. On découvre dans les fossés une drôle de couleur chimique bleue turquoise qui laisse à penser sur la qualité de l’eau pour abreuver nos animaux.
Cécile et Lolo nous apportent leur vision d’un vent d’est au retour de leur voyage en camion dans les Balkans. C’est ensuite Pivy et Lulu qui décident de passer du temps avec la famille de Clio arrivée depuis peu. Il faut réussir à caser tout ce petit monde. Nous nous mettons en quête d’un “agriturismo” où une troupe de sept français, quatre chevaux, trois chiens, et deux fourgons ne dérangeraient pas. Nous toquons à l’azienda agricole biologique Luna di Miele à Monastero Bormida. Sergio et Paola nous accueillent à bras ouverts. Voyageant eux-mêmes souvent en France, adeptes du woofing, ils refusent de recevoir le moindre centime en échange de leur hospitalité. “Si vous aviez voulu une 
Ze french touch'
chambre d’accord, mais pas pour un emplacement. La terre ça ne coûte rien et c’est à tout le monde.” Argumente avec justesse Paola. Une maison pleine de vie habitée par les grands-parents, les deux petites filles Nicoletta et Adela, ainsi que par Helen et Cécilia qui offrent leur services de woofer. Par la suite ce sont de grandes tablées qui s’organisent. Ils nous convient tous à la fête du Rabiola, un fromage a patte molle. Un repas sur donation a lieu dans un sublime corps de ferme. La musique proche du folklore breton ou occitan donne lieu a des danses conviviales.
Georgio.
Didier et Patricia font le tour des châteaux des anciens duchets protégeant chaque village de la région, et des villes comme Acqui-Terme aux trompes-l’oeil peints sur les façades. Ils assurent l’intendance pour une semaine, permettant à Tim, Lulu et Pivy de goûter quelques étapes à cheval. Nous découvrons aussi les dîners à rallonge italiens : apéritivo, primi antipasti, secondi antipasti, primi piati, secondi piati, fromaggio, dolce, cafe, grappa… pour une vingtaine d’euros. La panse nous éclate dans cette azienda argentine, ou encore avec Georgio à Lerma. Ce dernier que Clio a rencontré à la fête du Rabiola met un point d’honneur à nous héberger. Comme l’étape est trop longue, il nous dégote une écurie à mi-chemin chez Maoro à Molare. Cécilia avec qui nous nous sommes liés d’amitié vient passer régulièrement du temps avec nous. Elle nous prévoit ensuite
Cécilia et Nico.

quelques jours de repos à l’azienda de Tassarolo. Elle y avait suivi un stage d’agriculture viticole à traction animale. Par son biais, nous faisons connaissance de Nico, un franco-italien qui est meneur de chevaux de trait depuis peu. Il aide aujourd’hui Henry et Massimilia dans leur volonté de développer cette activité avec quatre Comtois. Un travail qui demande d’être assidu. Nous donnons un coup de main avec Tim, Angy et Arthur pourtant venus en vacances, pour arracher les mauvaises herbes qui prennent vite le dessus dans une culture bio.


Titouan, Nico et Henry.

Bien qu’aidés de quelques cartes trouvées dans les offices de tourisme, nous empruntons beaucoup de routes bitumées jusqu’à la digue de Ruino. La bonne fortune se présente sous forme d’un sentier aménagé longeant la fleuve Tidone, affluent du Pô. Cinquante kilomètres avant d’atteindre le maître de la plaine. Cela fait encore changer notre trajectoire, mais nous avons dans l’idée de traverser les cent-cinquante kilomètres de plaine d’une autre manière. Autre heureuse coïncidence, Mario et Daniela entretiennent le chemin. Passionnés de randonnée équestre, ce sont les deux motivés à l’initiative de l’ouverture de ce génialissime sentier du Val Tidone. Voulant absolument nous aider, ils nous mettent en contact avec Claudio et Martina, propriétaires d’un manège western a Boscone Cusani, à l’autre bout du chemin. Ils peuvent nous accueillir et nous rendre un certain service.
Claudio et Martina.
Les collines s’estompent, les villages perdent de leur charme. Les briques remplacent les couleurs joyeuses des maisons. Les aziendas viticoles font place aux fermes laitières de production intensive. Les vaches sont entassées par milliers dans des stales malodorantes, les pis blessés et prêts à éclater. Les tas de fumier sont légion. Dehors, ce n’est que maïs et luzerne arrosés de produits chimiques. Des pannonceaux préviennent de leur dangerosité persistante. L’eau des fossés est repoussante, véritable nurserie de moustiques. Cette plaine ne présage rien de bon. Il n’y a pas de place pour nous ici.
A Boscone Cusani, Claudio nous offre la possibilité d’une semaine de repos pour la tribu. Nous y découvrons les différentes disciplines western. Le team peining, le ranch sorting, le reining et le working cow. C’est cette dernière qu’ils préparent pour la compétition de la semaine prochaine à Padova. C’est une combinaison du reining qui est le dressage de la monte western, et du travail d’un cavalier face à un veau. On ne compte plus les médailles remportées par le club CS horses, sans parler du titre de champion d’Italie de Claudio.



Libertà ! Rencontre avec le quotidien de Piacenza.

De notre côté, nous sommes préoccupés par la mauvaise adéquation entre nos selles de bât et le dos de nos poneys. La chaleur aggravant la moinde faille, ils causent des gonfles à répétition de par leur faible surface d’appui et leur mauvais galbe. Nous avons déjà tenté de modifier les arçons, changé les tapis de selle. Les derniers de JMS sont le top. Nous respectons les pauses et le temps au déseller. Nous ne savions plus quoi faire lorsque nous voyons sur le site du sellier Hugues Petel deux bâts que nous convoitions. De bonne réputation, on espère qu’ils résoudront notre problème. Pour ce faire, tout se goupille pour ne plus sembler être du hasard. Cécilia que nous avions rencontré à Monastero Bormida nous avait proposé de nous accueillir chez elle, à côté de
Le bat Prairie.
Verona. Elle accepte de nous aider pour trouver un endroit pour les chevaux et de recevoir les colis  contenant les nouveaux bâts à son domicile. Claudio et Martina transportent toute notre équipe de Piacenza à Verona. Il leur restait de la place dans leur camion à chevaux pour aller à leur compétition, nous arrangeant considérablement sur le prix à payer. Ainsi, nous sautons cette sordide plaine du Pô que nous aurions mis plus d’une semaine à traverser. Nous pouvons également procéder au changement de matériel. L’aide de Cécilia nous est tellement précieuse et tellement offerte de bon coeur qu’on ne la remerciera jamais assez.
Paolo.
Les chevaux sont en sécurité et en repos au Gran Vayo Ranch de Paolo. Nous vaquons à nos occupations et adaptations de selles. Cécilia nous convie à la “sagra del paese” de Sommacampagna. Cette fête de village dure une semaine et comprend spectacles équestres, danses, repas, feux d’artifices, foire agricole, manèges forains… jours feriés et bars remplis de citoyens joviaux.
Nous assistons aussi à la compétition western et au retour faisons la connaissance de Daniele. Il est guide équestre sur Brogliano, proche de Vicenza, et nous fourni les cartes de sentiers praticables de Verona jusque chez lui.
Claudio dans l'excellence du working cow.
Cécilia nous emmène découvrir la belle cité de Verona. Pleine de classe et d’histoire, son architecture est d’une rare beauté. Entre arènes et monuments de multiples époques, les places vibrent de vie. La plus vieille pièce rajoutée est sûrement cette défense de mamouth suspendue sous cette arche ! Ville natale de Roméo et Juliette, les amoureux du monde entier viennent accrocher des cadenas sous le célébrissime balcon des amants qui ont inspiré William Shakespeare.
Voici en tout quinze jours de repos propices à la bonne guérison des dos de Nanouk et Vasco. Clio a même changé sa selle, une TH cuir trop fermée qui montait sans cesse sur les épaules peu marquées de Nanouk. Elle a choisi la Coureur de prairie d’Hugues Pétel et Emile Brager, plus large et avec plus de surface d’appui. Nous reprenons confiants la direction de l’altipiano de Lessinia, à 1 500 mètres d’altitude. Passer par ces beaux alpages permet de contourner la plaine et évite d’escalader les six vallées qui y descendent. Nous ne verrons l’immense lac de Garde que de loin, offrant un clin d’oeil au soleil couchant. Parfois nous avons vraiment l’impression d’avoir le plus grand jardin du monde… pas mal du tout.


La horde sauvage.

Cécilia, notre ange gardien n’est pas très loin. Elle vient à notre rencontre avec Massimo et ses amis du manège de Cavalo. Quel accueil ! Quinze cavaliers férus de randonnée nous escortent jusque chez eux pour déjeuner ensemble. Une bien belle tablée en si bonne compagnie. Comme dirait notre vieux gaulois Obélix : “ils sont fous ces romains !” Voilà qu’ils font tourner une enveloppe pour récolter des fonds et participer ainsi à notre voyage. Nous faisons tout pour refuser, mais moins nous acceptons et plus nous les vexons. Un grand merci ! Nous pensons que les rêves sont faits pour être réalisés, et ils l’ont bien compris.
La horde sauvage se remet en route. Quelle splendeur tous ces cavaliers qui arpentent les pieds des alpes. Les petits chemins d’école buissonière sont délimités par de grosses dalles de pierre, les mêmes qui coiffent les maisons. Des carrières font de la montagne un vrai gruyère. Ce n’est pas pour rien que le nom du village Cavalo trouve son étymologie dans le terme “cavare” qui signifie extraire. C’est d’ici que provient toute la matière première de l’édification de la cité de Verona.
Notre belle troupe fait étape aux écuries de Lucas, Laura et Chicco, trois d’entre eux. Ils concluent cette journée autour d’un gros plat de “pasta aldente” et Fernet en digestif. Le grand air ça creuse et ça donne soif !
La folle chevauchée.
Cécilia et Laura nous accompagnent le lendemain. Elles auraient bien prolongé cet instant encore quelques jours, quelques semaines… Fabio, alias Vecchio Lupo, ancien guide équestre fait aussi partie de l’expédition. Mais nous nous séparons bientôt à Fossé, chacun reprend son chemin respectif. Les adieux avec Cécilia sont émouvants. Elle s’est jetée à corps perdu dans cette aventure et nous a encore montré à quel point l’humanité peut-être belle. Grâce à elle ces derniers jours ont été riches en rencontres.

Malga Grolla et ses toits de pierres.
Nous quittons ces nouveaux amis pour rejoindre les vaches des hauts alpages. Le climat de l’altipiano se fait plus hostile. Orages, vent froid. A 1 700 mètres, ça caille vraiment. Des petits coups de sifflets nous interpellent. Des petites boules de poils bien équipées contre les courants d’airs nous guettent debout sur leurs pattes arrières, puis font disparaître leur gros postérieur dans leurs terriers. Lorsqu’elles se savent hors d’atteinte, certaines marmottes ne se préoccupent même pas de nous et continuent de se prélasser sur les rochers. Des chamois débonnaires leurs tiennent compagnie, plus ou moins en sécurité dans ce parc naturel. Les loups y sont nombreux également, mais toujours invisibles. Ici il a toujours eu sa place, et les éleveurs paraissent davantage l’accepter qu’en France. Il faisait partie des lieux bien avant eux. De temps en temps, un ours passe la frontière slovène et émigre sur le territoire. Comme tous les sans papiers, il est surveillé de près. Malheureusement, lorsque ces animaux à la mine pas si patibulaire que ça deviennent trop familiers et rôdent autour des habitations, ils sont alors considérés comme dangereux et abattus.
Andrea et Léonardo.
Léonardo et Andrea nous sauvent de l’innondation orageuse en nous prêtant la maison de leur “malga”. Ils préfèrent vivre au village plutôt que de passer l’estive à la vacherie, coupés du monde. En contrepartie, ils demandent qu’on leur envoie une carte postale. Ce sera chose faite ! Les gros eux, apprivoisent les vaches qui les observent de très près et d’un oeil curieux.
Le sentier muletier plonge vers Giazza. Tout est encore sauvage mais par chance, il est encore entretenu, seul passage à des kilomètres à la ronde. Nous y croisons deux suissesses qui se rendent à Verona à pied. C’est effectivement un bout du sentier européen E5 qui relie la Pointe du Raz à Venezia. 
Buona fortuna les filles !

Daniele et Marzia.
Tout un chacun déplore cet été “bruto”, mauvais. Nous sommes mi-septembre et il est vrai qu’entre deux beaux rayons de soleils nous n’avons pas arrêté de nous faire rincer. Aujourd’hui encore. Les deux dernières étapes sont longues pour tout le monde, mais nous trouvons un grand réconfort et une belle amitié chez Daniele et Marzia à Brogliano. Nous sommes maintenant implacables sur les cartes de pizzas. Une spécialité qui se veut conviviale, économique, et surtout toujours délicieuse. Simples et fines, la base de l’alimentation des italiens est un secret bien à eux et inégalé. Le(s) limoncello(s) est de rigueur au moment de l’addition. Mais ce n’est pas seulement pour les quelques gueules de bois qu’il nous faut faire un peu de repos. D’après le vétérinaire, la gonfle de Vasco est revenue car le muscle n’était pas guéri en profondeur. Il va falloir fabriquer un tapis de selle troué pour poser l’harnachement sans charge sur son dos, ainsi éviter l’appui à l’endroit lésé, et marcher à côter pour un bon moment. Daniele nous accompagne la journée de départ. Lui aussi aurait bien poussé un peu plus loin !

C’est aujourd’hui le 21 septembre, c’est à dire déjà l’automne. Pour les escargots que nous sommes la mer Noire et encore plus le Caucase nous paraîssent bien lointains, et l’hiver si proche… On se rend cependant compte qu’il n’y a pas besoin de courir pour vivre de belles aventures et faire de belles rencontres, bien au contraire. Alors nous restons fidèles à ce proverbe italien :

“Chi va piano, va lontano e sano.
Chi va forte, va a la morte !”



mercredi 9 juillet 2014

Funambules sur les plis de la Terre.

Nakai sur les cîmes.

Les au-revoir au départ de chez Joël sont émouvants, chacun est un peu cafardeux. Une mésaventure pour une belle rencontre. Un sacré bonhomme que nous avons côtoyé pendant un mois et demi, nous sommes déjà le 29 avril. Le temps accentue cette atmosphère, gris et maussade alors que le soleil a rayonné pendant tout notre arrêt. La cicatrisation de la plaie d'Oro arrive à son terme, enfin ! Les parents de Clio en vacances, nous on rejoint pour une semaine. Ils alternent entre intendance et visites touristiques, cela permet à Oro de reprendre doucement l'activité non chargé. Le soir même, c'est Julie qui nous accueille à Varaire. Cette amie de Joël a choisi le métier itinérant de bâtisseuse de demeures alternatives : les maisons en paille. Une des artisanes à l'initiative du combat pour la reconnaissance justifiée de ces habitations en France, notamment auprès des assurances et des grands maîtres des  « normes », elle sillonne maintenant le pays de chantier en chantier pour les ériger. Elle a décidé d'installer son petit pied à terre ici. il faut dire que la dynamique alternative y parait bonne au vu de la faune qui entoure Joël. Au Mas-de-Nuc ce ne sont pas les habitations farfelues qui manquent. Vieux camion Berliez qui a pris racine, bardé de bois avec terrasse de plantes grimpantes, bus habillé de troncs ou encore surélevé offrant une vision à 360 degrés depuis cette mezzanine de fortune, maison champignon, cabanes de mondes de voyageurs, toits biscornus... le tout fondu au milieu des arbres, délimités par de petits murets en pierre couverts de mousse. Non loin de là, Tonin et Lolo préparaient leur départ en tournée avec les Cirkulez et No System, apprêtant leurs camions afin de transporter chevaux, ânes et mules de spectacle. Il ont aussi une collection de roulottes, inventent diverses choses à base de récup' comme ce sulky à une roue ou encore cet orgue de barbarie automate.
Nous quittons ces havres de paix pour bientôt passer en plein centre ville de Villefranche-de-Rouergue, aux sens uniques et pavés glissants. Cela a au moins le mérite d'arracher des sourires aux citadins ébahis. Nous nous perdons dans ces rues et arrivons bien trop au nord, le soir arrive et nous n'avons toujours pas d'endroit où s'arrêter. Nous voulons jouer le jeu, ne pas squatter une prairie mais plutôt obtenir une permission. Ce n'est pas toujours chose aisée, comme aujourd'hui par exemple. Alors que, fatigués, nous commençons à désespérer, la famille Vast nous ouvre ses portes à Passerat. Une amabilité qui fait oublier les difficultés de la veille, une journée de repos qui remet tout le monde d'aplomb.


Pays de vallons et rivières.


Pont de Comencau sur l'Aveyron.
Le relief a grandement évolué. Les collines et plateaux s'agrandissent. Le climat agréablement tempéré et la multitude de ruisseaux au petits ponts de pierres rend la végétation davantage luxuriante. Les charmants villages médiévaux à flancs de collines pullulent de touristes. De temps à autre nous arrivons à trouver un petit coin de paradis près des rivières, mais la marche sur la vallée de l'Aveyron nous rend quelque peu confus, voire rageurs. Toute cette herbe ! Les vallons en sont remplis, elle foisonne, d'un vert fluo printanier, et pourtant personne ne veut nous y autoriser l'accès. Tous les agriculteurs attendent pour la faucher, dans des prairies clôturées ou non, l'agriculture moderne et intensive voulant que les bêtes soient parquées toute l'année dans les stabulations et nourries au foin. La loi de la rentabilité produit la malbouffe et rend avare de ses terres, détenues et polluées d'ailleurs par la grande majorité de ses gens illogiques. Des paysans de leurs yeux aguerris jaugent nos montures et nous complimentent sur leur état, discutent pendant une demi-heure et nous envoient balader jusqu'au prochain village Eh oui mon bon monsieur, mais pour qu'elles le restent il faut qu'elles prennent du repos maintenant et qu'elles mangent ! Les bas-côtés remplis de ciguë (plante ombellifère très toxique) rendent délicat le choix de pauses et de bivouacs. Il y a de quoi penser communiste et rendre les terres au peuple, voire anarchiste et squatter librement. C'est ce que nous finissons par faire. Lorsque nous les voyons enfin s'en mettre plein la panse, nous sommes satisfaits. Les voir évoluer en troupe ou nous offrir le spectacle de jouer et de galoper, comme dans ces immenses prairies du plateau du Lévézou sur fond de coucher de soleil, il nous importe peu de se faire réprimander par le paysan qui passe par là. Finalement, ceux que nous croisons comprennent. Pour une nuit les chevaux ne font pas de dégâts, et le propre du nomade que nous affectionnons est de laisser l'endroit comme si nous n'étions jamais passé. Minimiser l'empreinte sur cette Terre que nous ne faisons qu'emprunter.


Village médiéval de Belcastel.
S'il n'y avait que ça pour tenter de nous casser le moral. Mais suite à l'attaque de ce cher Filou, Vasco montre maintenant une trouille bleue des ânes. Juste après la traversée de Rodez et ses embûches urbaines, un âne noir déboule du haut d'un champ et se met à braire derrière sa clôture branlante. Vasco nous refait son légendaire demi-tour en plein milieu de la route et fonce sur le reste de l'équipe. Je peine à l'arrêter, Clio et moi manquons de faire un plongeon dans la haie. Oro est parti au galop dans le virage, heureusement sans voiture en face. Bref, la débandade ! Évidemment les ânes ne manquent pas dans le coin. Quelques heures plus tard sur un sentier étroit en bordure d'un pré, deux curieux aux longues oreilles s'agitent à notre passage. L'entier se met bien sûr à braire. Et c'est reparti, panique générale ! Nous les avons en main mais Vasco me serait bien passé dessus s'il avait pu et Nakai contaminé de peur est parti en arrière au galop. Il paraît qu'une frayeur n'arrive jamais seule. Le chemin du GR est très étroit, raide et grimpe en épingles. Cela demande aux chevaux d'être calmes, habiles et à l'écoute. Vasco grille les étapes, Nakai passe du mauvais côté d'un arbre, bloque la longe de bât et glisse les deux pattes arrières hors du muret. Heureusement qu'il est moins stressé qu'au début du voyage. Il rassemble ses forces, pousse fort et parvient à se hisser. Autre anecdote, aujourd'hui Oro a eu la dangereuse gourmandise de croquer à pleines dents la ciguë, juste le temps de la lui retirer de la gueule. Le soir, au pied de l'Eglise Saint-Georges perdue dans la campagne humide, nous réfléchissons, épuisés et de mauvaise humeur. Heureusement que de telles journées sont rares. Pourtant on ne peut pas continuer comme ça. Nous devons absolument désensibiliser Vasco car ses réactions deviennent dangereuses pour tout le monde. Pour cela il nous faut un âne ! A notre plus grand bonheur, peu avant Saint-Beauzély, nous passons devant une abbaye qui renferme une ânesse. Nous attachons nos asticots, emmenons Vasco devant cette demoiselle et... rien ! Aucune réaction. On se dit que ça doit être uniquement lorsqu'ils se mettent à braire. On l'encourage donc « Allez mémère, braie, fait hi-han ! », et nous imitons le cri entourés de marcheurs rigolards. Mais rien n'y fait, elle ne veut pas nous rendre ce service. Il nous faut donc un âne qui braie, et fort !


Viaduc de Millau depuis le plateau du Lévézou.
Millau marque la fin des hostilités hospitalières. Aux portes de la ville, Carole, Olive, leurs enfants Luna et Gabin proposent carrément leur jardin, s'excusant même de l'avoir tondu avant notre passage. Les petits sont aux anges avec les poneys. Leurs cadeaux et dessins enfantins au moment du départ sont touchants.
Depuis les derniers événements, Nanouk est transformé, il marche en crabe, énervé et énervant Clio. Passé la ville, elle le remet en bât. Nous repartons en altitude, nous hissant vers les Causses Noirs. La végétation redevient rasante, les petits chênes verts sont rois, les pins ne sont guère plus grands. Les buis poussent sur les caillasses. L'herbe pique les fesses et se fait rare. Le sentier GR nous tend quelques embûches. Impraticable par son étroitesse ou encore des roches formant des marches trop hautes pour les chevaux. Les demi-tour sont périlleux avec quatre chevaux chargés au bord du vide. Nous approchons du chaos de Montpellier-le-vieux. L'endroit porte bien sont nom, la croûte terrestre est sans dessus dessous. De gigantesques rochers sont empilés les uns sur les autres, tiennent en équilibre on ne sait comment au milieu de la forêt aux mailles serrées. L'érosion responsable de ce chahut a aussi creusé des
Labyrinthe du Chaos.
ravins, comme celui de Monna dont la vue est vertigineuse et où nous rebroussons chemin pour passer par la route. Cela fait six jours que nous marchons. Il faut offrir une journée de repos à nos équipiers, et trouver un endroit clôturé qu'ils puissent s'ébattre librement. Nous tentons notre chance à la ferme équestre Les Pélissiers. La famille Robert nous accueille volontiers. Ils élèvent des vaches à viande, mais façon western, c'est à dire en les menant à cheval sur les quelques centaines d'hectares leurs appartenant. Ils ne manient le lasso qu'en cas de problème extrême, un taureau blessé à soigner par exemple, préférant conduire leurs bêtes dans le respect, sans stress. Bruno et son père qui est berger nous racontent d'inquiétantes histoires. Ils avaient un âne entier qui attaquait leurs chevaux. Ils l'ont vu les attraper à la jugulaire et se suspendre pour tenter de les étouffer, les victimes se débattant comme elles pouvaient pour s'en débarrasser. « Une vraie saloperie ! » nous dit l'ancien. Tonin nous avait raconté une histoire similaire, il avait du frapper l'âne pour le dégager. Celui-ci avait ensuite mordu les tendons du postérieur du cheval qui s'asseyait dessus de douleur pour lui faire lâcher prise. « Et vous auriez-un conseil contre les attaques d'ânes entiers ? » Demandons-nous au vieux berger. « Ah oui, une seule chose, évitez-les ! » répond-il convaincu en s'éloignant avec ses brebis. Bruno va dans son sens en nous souhaitant bonne chance. « Et protégez-vous ! » ajoute-t-il après nous avoir donné les renseignements nécessaires sur l'itinéraire à suivre. Voilà qui est rassurant...



Sur le toit de l'Aigoual.


Sauvages Cévennes.


Au pied des Cévennes, le plateau pelé et battu par les vents la majeure partie de l'année est à l'image du célèbre Larzac tout proche. Les couleurs y sont ternes, le ciel très bas. L’absence d'arbres a poussé les bâtisseurs à exceller dans la construction de pierres, devenus maîtres de la clé de voûte pour remplacer les charpentes. Par dessus les arcades, les toits sont formés de lauzes, des tuiles taillées dans la pierre. Le climat a l'air rude, mais les quelques personnes qui le peuplent à part les vautours guettant les brebis sont entières et gentilles, même si elles peuvent parfois paraître froides au premier abord. Les clôtures y sont quasi inexistantes. Qu'il est bon de pourvoir jeter son regard au loin sans se heurter aux barbelés. Lorsque l'on demande une place dans une ferme, on nous répond « mais où vous voulez ! ». La bergère nous dégote alors un endroit à l'abri du vent où nous pouvons laisser les chevaux en semi-liberté. Ses brebis, dont le lait sert pour la fabrication du roquefort, ne sont pas encore passées partout, mais peu importe dit-elle. Ces gens nous réconcilient avec l'humanité.


Draille de pierraille.
Après l’échauffement des premiers dénivelés, on passe aux choses sérieuses. Les Cévennes se dressent devant nous. Sauvages, elles sont d'un panel de verts, du foncé des pins au clair des jeunes pousses de hêtres, mouchetées du jaune des genêts en fleurs. Le ciel passe du bleu éclatant au gris écrasant. Des traînées d'averses se dessinent au loin. On pourrait presque voir le vent tellement il est présent. L'ascension vers le premier col est raide. Nous subissons à notre surprise deux grosses averses de grêle, puis nous nous demandons vraiment où est-ce que nous allons de la sorte lorsque que la neige raye le paysage, s'accrochant aux crinières. Invraisemblable, nous sommes mi-Mai. Nous avons été bien inspirés de ne pas y passer cet hiver. Au sommet du Mont Aigoual à 1600 mètres, il souffle un vent du nord aussi extraordinaire que la vue qu'il offre. Poussés par l'air ! On croirait s'envoler jusqu'à la méditerranée que l'on distingue au loin. Les mains nous gèlent, nous attrapons nos blousons d'hiver restés depuis belle lurette au fond des mallettes. Nous rigolons à notre impression d'être des aventuriers bravant les éléments. Toutes ces montagnes, si grandes, si sauvages, et nous si petits ! Elle donnent une impression de liberté. Les chevaux sont d'un calme respectable, les crins à l'horizontale, croupe au vent le temps de trouver une solution. Quelques personnes nous renseignent, en effet une station météo est à plus grande raison installée là. Il va geler cette nuit. Les chevaux ont perdus leur poil d'hiver. Nous sommes contraints de redescendre à la station de ski de Prat-Peyrot à 1400 mètres d'altitude. Nous trouvons refuge dans une cabane en bois servant sûrement d'abris bus. Situation plutôt cocasse, nous attachons les chevaux à brouter sur la piste de ski, sous les tire-fesses dressés entre les arbres. Le lendemain nous nous équipons en conséquence pour passer ce sommet venteux, gants, bonnets, blousons... Nous empruntons ensuite la draille, autoroute de transhumance. Étroite et pierreuse, elle demande calme et dextérité. Nous organisons nos équipes de façon à mettre celui que l'on doit canaliser devant, et celui qui suit sans difficulté derrière. Les sabots se placent assez adroitement dans le pierrier. Nakai s'amuse à jouer la biquette sur la bordure de caillasse. J'ai beau le sermonner et lui expliquer que cette partie peu s'effondrer, il continue de faire le malin. Érigé au fil des temps par les bergers, stabilisé pierre par pierre, ce sentier est un travail titanesque. Parfois à flanc de montagne, parfois avec vue au nord et au sud en même temps, à dos de montagne. Il suit toute la ligne de crêtes traversant le massif, hérissé de ramifications pour amener les troupeaux dans les alpages et vallées. Vestiges d'une tradition en perdition, quelques vieux
Le grand souffle qui décoiffe.
bergers emmitouflés dans leur veste et coiffés de l'incontournable béret veillent encore sur leurs troupeaux. Une vie rude que bien peu de jeunes souhaitent relayer. Encore une fois notre mauvaise carte nous trahit et nous redescendons par erreur sur Valleraugue. Un bien pour un mal, l'herbe y est verte, les températures plus clémentes et nous sommes à l'abri du vent au fond de la vallée. De belles rencontres aussi qui pourrait laisser croire au destin. Tout d'abord Julie, une saisonnière agricole avec qui nous passons la soirée, puis Matéo et sa famille qui habite plus haut. Les Portela ont des origines argentines, de Cordoba. Nous faisons connaissance et évoquons ce pays qui nous est cher autour d'une petite « picada » (collation). Le contact est fort, l'humour de rigueur, et nous transpose de l'autre côté de l'Atlantique. Une autre forme de voyage. Ils nous renseignent aussi sur notre itinéraire. En montagne tout devient plus incertain, il faut glaner le maximum d'informations possibles. Nous avons appris à nos dépends que l'on risque d'être bloqué ou de devoir rebrousser chemin. Les détours sur ses reliefs sont tout de suite démesurés. Il faut aussi prévoir où bivouaquer, trouver une pâture hors des pentes abruptes et dénicher de l'eau pour abreuver les chevaux. Ne pas rester trop sur les hauteurs pour ne pas s'exposer trop au vent glacial. Crapahutant sur les crêtes, elles s'estompent peu à peu pour laisser la place à la Camargue. Ici et bien après, nous croisons bon nombre de plaques commémoratives de jeunes maquisards lâchement assassinés par les nazis, ou de bergers ayant eu un rôle clé dans la résistance. Folie, fureur des hommes à ne jamais oublier et à ne pas reproduire. Ces lieux ont été les témoins de véritables chasses à l'homme. Comment l'extrême droite peut-elle encore marquer des points de nos jours ? Rien que de passer devant ses plaques et à cette pensée cela nous fait froid au dos. La liberté que nous essayons tous d'atteindre à notre manière tient à si peu de choses.


L'avancée des averses.


Traditions et désensibilisation.


Dans la plaine, de petits panneaux « Roulotte-bar » nous intriguent. Nous les suivons et arrivons dans une propriété où des jeunes entre quinze et dix-sept ans sont en grande préparation d'une fête. Une roulotte sert effectivement de bar. Un groupe viendra jouer ce soir. Leur but est de récolter suffisamment de fonds afin de pouvoir se construire une grande roulotte qui leur servirait de lieu de réunion plutôt que de traîner à l'arrêt de bus. Nous y contribuons en se désaltérant à leur bistro improvisé et nous remettons en route pour trouver un lieu propice à une journée de repos. Quelques kilomètres plus loin, nous tombons sur un domaine équestre, une pension et élevage de shetlands. Tony, Audrey et leur fille Eden nous accueillent à bras ouverts. On ne se trompe pas en disant que ses gens sont altruistes, uniquement constitués de gentillesse. Défenseurs de la cause animale, ils ont du mal à vendre leurs poneys car difficile de trouver la famille d'accueil digne de confiance. Militants contre la corrida et autres traditions camarguaises, ils sont même devenus végétaliens par refus de cautionner toute la souffrance animale engendrée par les élevage intensifs, les moyens de production et traitements médicamenteux, les abattoirs et la maltraitance qui y sévit, les bêtes tués pour rien dont la chair termine au fond des bennes à ordures pendant que le tiers-monde meurt de faim, l'énergie dépensée pour tout cela... bref une liste qui peut s'étendre bien plus encore, qui vous retourne la tête de vérité écrasante. Largement de quoi se sentir coupable.


Parer à la souffrance animale : chaussons contre les épines.
A peine repartis de chez eux, Vasco refait des siennes. Demi-tour devant des biquettes armées de clochettes. Il a du oublier de mettre ses lunettes. Toujours est-il que la longe de bât me file entre les mains, il pousse Clio et Nanouk au fossé, embarque Oro au galop. Une impression de déjà vu peut-être ? Malgré la chaînette ajustée en sous-barbe, je n'avais pas anticipé ce coup là. Oro s'arrache un fer postérieur dans la débâcle, cassant toute la corne et ne laissant aucune place pour reclouer. A Quissac, nous rencontrons Annie, une amie d'Audrey qui nous donne le numéro d'un maréchal car je ne trouve pas de solution à ce problème épineux. Quelques minutes plus tard, la providence met Virginie, Jessica et la petite Kenza sur notre route. Elles nous proposent un pré où nous profiterons pour faire venir Maty, le maréchal qui referrera Oro le lendemain, tout simplement. Il me donnera aussi des conseils sur le parage contre l'évasement du sabot. Les filles ont monté l'association « un espoir de liberté » qui recueille les équidés maltraités. Des gens leurs prêtent des terrains, elles vendent des bijoux en crins de cheval, obtiennent quelques donations. Elle tentent ensuite de replacer sous contrat leurs pensionnaires dans de bonnes familles. Deux d'entre eux se prénomment Wallace et Gromit, ce sont deux ânes dont un entier. Parfait pour désensibiliser Vasco. Encore une fois ce dernier n'en a rien à faire et leur renifle le museau comme si de rien était. Virginie et Jessica nous racontent leurs expériences avec leurs propres chevaux et finissent par nous convaincre qu'il ne s'agit pas là de véritable frayeur, mais plutôt d'une crise d'adolescence classique entre cinq et sept ans. Fourchette qui paraît juste, Vasco n'a pas encore cinq ans, Nanouk en a six et n'est pas en reste ces derniers temps.
Les causses sont de retour. La garrigue a gagné du terrain avec ses senteurs de thym et de romarin, l'herbe se raréfie et sèche. Le sentier à la voûte de buis nous mène jusqu'à Fons, où René et Annie, eux même randonneurs à cheval nous proposent un paddock à l'herbe grasse. Ils nous éclairent sur cet oiseau dont le chant « pupupu » résonne sans cesse dans la garrigue, lui conférant une ambiance spéciale qui nous est étrangère. C'est la huppe fasciée, appelée aussi Pu-Pu, forcément. Comme nous, c'est un oiseau migrateur avec une drôle de crête.


Décontraction au bord du Gardon.
Les gorges du Gardon sont les prémices de baignades estivales. Le village de Collias est l'endroit idéal pour y fêter mes trente ans, un coin tranquille au bord de l'eau. Mais l'accès s'avère difficile. Une fête taurine s'y déroule. L'abrivado est une tradition qui remonte à l'époque où les manadiers conduisaient leurs taureaux du pré aux arènes en les entourant de huit cavaliers formant la pointe d'un triangle. Les guardians galopaient alors dans les villages pour éviter que les habitants ne fassent s'échapper le taureau pour s'en amuser. Aujourd'hui ils reproduisent cette scène dans les villages, lâchant le taurillon d'un camion du haut de la rue, escorté au galop par les chevaux ferrés de crampons prévus pour le bitume jusqu'à un autre camion. Les jeunes gens se mesurent à lui en essayant de le coucher, l'attrapant par la queue, les cornes... Autre fête locale, la course camarguaise. Elle consiste à attraper des cocardes accrochées sur différentes parties du taureau pour marquer des points.
Changement de décors, une horde de cavaliers internationaux soulèvent la poussière du Brésil ! Mathieu, Kesley et leur toute récemment née Tallulah viennent à notre rencontre et nous racontent cette aventure qui a duré un an et demi. Après un rassemblement Rainbow dans le pays, ils se sont mis en tête avec une vingtaine d'autres « Warriors » de tenter l'expérience, de vivre de leurs spectacles de rue et autres petits travaux tout au long d'un périple nomade, à cheval. Une organisation qui n'avait pas l'air d'être simple au vu du nombre qu'ils étaient, mais une belle notion de respect et de partage pour réussir à tous s'entendre. Un sacré voyage !


Les rencontres sont toujours plus diverses et variées. Ce sont maintenant Manon et Guillaume qui nous invitent à dîner dans leur demeure à Meynes, les chevaux en sécurité dans un paddock où Manon donne des cours d'équitation camarguaise. Nos hôtes sont en effet de fervents admirateurs des traditions du pays, se battant pour que celles-ci perdurent. Guillaume qui a beaucoup mené les abrivades avec son cheval, travaille dans une entreprise qui étudie et améliore les OGM. Passionné, il nous montre des vidéos dont certaines montrant le danger réel que comportent ces fêtes, des chutes spectaculaires de cheval, échappées de taureaux... Actions à l'opposé total de celles de ce que l'on a pu connaître auparavant, ils ne nous réservent pas moins un accueil chaleureux, faisant tout ce qu'ils peuvent pour nous rendre service, offrant le foin aux chevaux. Ils fonctionnent de même avec leur entourage, « tant qu'on peut, il faut se serrer les coudes » aiment-ils à répéter.


Kali et Rustine, fidèles cabots.
Une barrière naturelle se dresse devant nous, le Rhône et son immense lit. Les ponts n'y sont pas légion et toujours démesurés pour nous qui redoutons le trop plein de circulation. Nous préférons traverser par celui qui relie les centres villes de Beaucaire à Tarascon, les véhicules y roulant à faible allure. Passer les deux cités demande déjà beaucoup de patience et de vigilance, mais au moment le plus délicat, les bus trop pressés n'attendent pas que nous soyons de l'autre côté du fleuve pour nous doubler dans un puissant bruit de moteur rugissant malgré nos signes pour les faire patienter. Peu leur importe si les chevaux s'excitent dangereusement lorsqu'ils nous collent puis nous rasent sur cet étroit pont aux rambardes insignifiantes. Attendre sur cent mètres en gardant une distance de sécurité serait trop leur demander. Le comportement des citadins est déconcertant, tellement habitués à ce que tout aille à toute vitesse, se croyant intouchables dans leur habitacle de tôle et pourtant le danger est là aussi pour eux... Cela nous fait sortir de nos gonds. Nos deux chiennes elles, sont exemplaires. Elles tiennent leur droite sachant pertinemment à notre timbre de voix que le moindre écart ne sera pas toléré. Nous peinons à trouver la sortie dans cette jungle d'asphalte, des piétons nous aiguillent, mais au portes de la ville point de prairies et il est largement l'heure de s'arrêter. Par chance Yves nous recueille au bon moment et nous invite chez son amie qui a un jardin en périphérie. Autre rencontre atypique, il est témoin de Jéhovah. Il me distribue ses petits fascicules mais n'insiste pas lorsque je lui révèle que nous sommes profondément athées. Nanouk est venu à bout de ses fers au bout d'un mois et demi. Celui de l'antérieur gauche est cassé en deux. Je trouve un maréchal non loin d'ici grâce aux pages-jaunes. Barth nous rend l'immense service de nous amener un jeu de fers qu'il refuse que je lui paye. Nanouk chaussé à neuf le matin, nous sommes prêts à attaquer les Alpilles.
Belles Alpilles.


Horizon provençal.


Ce massif est tel un erg de montagnes pierreuses aux multiples senteurs de thym, de romarin, de pins... Aux sommets, la plaine dénaturée par la main de l'homme s'étend tout autour. La vue pourrait être jolie car elle s'étend loin. Pourtant les infrastructures la gâchent : usines, serres, villes, zones commerciales, routes, cultures intensives... Les sentiers du parc naturel des Alpilles sont encore ouverts au public, mais pas pour longtemps. A partir du premier Juin, la réglementation sur la libre circulation entre en vigueur en vue de protéger l'endroit contre d'éventuels incendies. Le mistral souffle fort, séchant tout sur son passage aidé par le soleil ardent. La sueur dégouline avec l'effort. Des citernes de pompiers nous fournissent de l'eau lorsqu'elles sont ouvertes. Les pistes DFCI (Défense des Forêts Contre l'Incendie) sont un bon terrain pour marcher. Malheureusement notre carte ne les recense pas toutes et nous faisons des kilomètres en trop, tournant parfois en rond malgré l'impression d'être sur la bonne voie grâce à la boussole. Le relief cache la réelle direction que prennent les pistes, bifurquant parfois brusquement pour suivre un autre flanc de montagne. Au pied du massif, presque chaque village possède ses propres arènes. Les fincas d'élevage de taureaux possèdent la majorité des terres d'élevage. Ce sont les dernières que nous croiserons. Partout ailleurs s'étendent les champs d'oliviers, et puis le fleuve de la Durance n'est plus très loin, marquant la frontière avec le Lubéron.


Rafraîchissement dans la flaque.
Dépourvus d'un lieu où dormir le soir en arrivant à Eyguières, Olivier et Karine nous sauvent la mise alors que nous arrivons au bar de la grande place où nous allions tenter de prospecter. Ils m'emmènent me montrer la route jusqu'à leur pré où ils possèdent deux chevaux camarguais pendant que l'attroupement se créé autour de Clio et les chevaux. Pour s'y rendre, il faut passer devant une volière de paons, deux ânes, une meute de chiens. Nanouk fait le guignol pour changer de Vasco. Au fond du chemin habite Pascal qui nous invite pour l'apéro avec son fils Willy et son ami Renaud. Heureux hasard, Pantoufle est pensionnaire de la maison, âne de son état disposant de ses attributs et réputé bavard. Parfait pour s'assurer de la bonne désensibilisation de notre équidé pubère. Nous obtenons alors la certitude que les manifestations de la peur de Vasco dépend uniquement de sa bonne volonté, il en est de même pour Nanouk. A nous d'être vigilants, d'anticiper les possibles prétextes et de ne pas leur montrer notre éventuelle inquiétude. Il est tout de même certain que la mésaventure du Quercy a laissé des séquelles. Le comportement des quatre chevaux est différent depuis. A nous de rééduquer cela. Ils nous ont d'ailleurs fatigué, nous choisissons de chômer le lendemain, pour nous et non pas pour eux cette fois. Ras-le-bol ! Nous passons la journée avec les voisins, donnant un coup de main pour les finitions d'une porte de serre, avec barbecue à la débauche.


Nous avions premièrement choisi de passer par les hauteurs du Lubéron, loin de la civilisation. L'éternel problème de nos cartes mal détaillées nous contraint après avoir dû dévier de notre trajectoire initiale car beaucoup de chemins étaient impraticables à cheval, à demander des itinéraires au gîte équestre du Mas de Recaute puis d'acheter des cartes au 1/25 000e à Lourmarin pour les futures zones difficiles. Malheureusement les offices de tourisme sont rarement capables de répondre à nos interrogations. Alors que nous campons à côté de chez eux, Florence et Georges viennent nous trouver pour passer une agréable soirée chez eux. Par un concours de circonstances, ils se sont retrouvés propriétaires d'une troupe de sept ânes qu'ils emmènent chaque année en transhumance par les chemins avec d'autres troupeaux. Georges, ex-baroudeur très manuel s'est même improvisé fabricant de bâts de randonnée. Eric, leur maréchal, se montre aussi bienveillant que ces derniers, et refuse catégoriquement que je lui règle les fers qu'il amène. « Il nous reste au moins ça ! » dit-il en nous souhaitant bonne route. L'humanité triomphe parfois sur le règne de l'argent. Le matin Florence fait un bout avec nous et nous montre les sentiers. Elle nous met au parfum de la bonne tenue qui est de mise dans les villages touristiques de Vaugines, Lucuron... où il n'est pas toléré de laisser derrière soi des « petits paquets » sur le bitume comme me le signifiera un agent de police municipal. Une toutou-nette ne sera pas suffisante pour nos quatre machines à crottins ! A l'étang de la Bonde, je ferre le reste de l'équipe, profitant de la proximité de l'eau pour des pauses baignades avec les poneys. Joran qui fait de même avec ses juments, curieux et bavard vient passer du temps avec nous. Il nous parle de sa vision de l'équitation et son intérêt pour l'éthologie. D'une nature très calme, la relation qu'il entretient avec ses juments est en effet exemplaire, car fondée sur le respect et la compréhension.


Grimaces comiques de Vasco à la fontaine.

A Mirabeau nous passons la Durance pour la seconde fois et longeons le centre d'essais nucléaires de Cadarache. Que l'herbe est verte ici ! Et que les taons sont gros ! C'est le résultat du progrès mon petit... Comme cette base militaire à Lamanon, barricadée de pancartes « Entrée interdite, danger, zone polluée. ». Les apprentis sorciers ont fait fausse note. Le Verdon reste encore un endroit de baignades et de détente apprécié, jusqu'à la prochaine fuite sûrement. L'eau est claire, rafraîchissante à souhaits et accessible aux chevaux. Vasco nous gratifie toujours de ses simagrées, remuant l'eau de ses babines et nous faisant éclater de rire. Les fontaines des petites places ombragées des villages du sud-est sont une bénédiction. température avoisine maintenant les trente degrés et nous faisons une plus longue pause en milieu de journée aux heures chaudes, repartant à la fraîche. On ne pourra cependant pas suivre les gorges de la rivière. L'impressionnant canyon n'offre pas de passage suffisant pour nos équidés. Une halte s'impose au lac de Sainte-Croix après avoir traversé le plateau des célèbres champs de lavande de Provence. La chaleur est telle que les orages ne cessent de couvrir le ciel de leurs nuages menaçants, bloqués dans cette cuvette. Les copains n'ont cessés de venir nous voir chacun leur tour, mettant leur bienfaisant grain d'amitié et de festivités sur notre chemin. Mika, Jenny, Jess, Yo et Chloé, Lucie et Maël, Ophélie, Angy et le petit Arthur, maintenant Alban, et bientôt Cécile, Lolo, Damien, Aminata, Lucie et Pivi. Nous rencontrons par la même occasion Pierre et Sunshine, deux voyageurs belges sur la route respectivement depuis deux et quatre ans, l'un en moto et l'autre en vélo avec une petite remorque. L'attelage doit être comique lorsque la 125cm3 tire le vélo dans les côtes, Sunshine les dreadlocks au vent. Ils se sont rencontrés lors des manifestations contre l'aéroport à Notre-Dame des Landes. Ils s'efforcent aujourd'hui de vivre sans argent, demandant les invendus sur les marchés où dans les supérettes. Nous rigolons beaucoup à propos de la théorie du complot. Pierre demande « Pourquoi théorie d'ailleurs ? » sous les éclats de rires généraux. Est-ce vraiment bénéfique d'être paranoïaque à ce point ? Ils nous parlent de ces pyramides soit-disant découvertes en Bosnie. Nous sommes très cartésiens et savons qu'elles sont décriées par la communauté de chercheurs internationaux. Comme nous allons vers les Balkans, ils nous donnent quand même rendez-vous là-bas sur de grands au-revoir. On a des efforts à faire avant ça. Rien que le sentiers des muletiers pour remonter sur le plateau nous arrache la sueur. Une fois en haut, la propriétaire d'un camping et centre équestre nous refuse de l'eau potable « Ça aurait été pour les chevaux oui, mais pour vous non ! » lance-t-elle. Désemparés par sa bêtise, nous allons frapper chez la voisine qui accepte volontiers et nous renseigne sur le meilleur chemin à prendre. Moustiers Sainte-Marie est à flanc de falaise, la voie romaine qui monte au dessus par le ravin est faite de pavés trop glissants pour les chevaux. Il va nous falloir faire un gros détour. Pour contourner Moustiers et arriver sur les hauteurs le sentier grimpe avec un tel dénivelé qu'une fois en haut les chevaux sont en nage, Vasco victime de sa surcharge pondérale met une demi-heure à retrouver son souffle. En guise de récompense, Pascal leur offre à Venascle un pré clôturé. Un peu de liberté pour nos gros qui pâturent à la longue corde depuis plusieurs jours.


Sainte-Croix à la nage.

Les orages se répètent chaque jour. Ils ont au moins le mérite de faire pousser l'herbe dans les alpages et de rafraîchir l'atmosphère avant de difficiles grimpettes. L'herbe supplante la garrigue. Les lavandes et les cerisiers sont en retard à cette altitude. Nous arrivons à 1400 mètres par l'ancienne voie romaine, longeant les crêtes, des vautours tournoyants au dessus de nos têtes pendant que deux orages déchaînent leurs éclairs sur les sommets voisins.. Le plafond nous paraît bien bas tout d'un coup. Au milieu d'un alpage, un troupeau de brebis broute au loin tranquillement. « Tiens regarde elles sont gardées par des patous. » lance-je à Clio « Oh oui, ils sont balaises, j'aimerais pas qu'il viennent sur nos chiennes. » ajoute-t-elle. Un gros aboiement nous fait sursauter, une patou était cachée
Petit air péruvien.
derrière un buisson. Elle se met en tête de nous suivre sonnant l'alarme à ses quatre autres congénères qui décident de descendre la pente à notre rencontre. N'en menant pas large, Clio reste en arrière pour faire diversion pendant que j'emmène vite les chiennes vers l'avant. Travailleuse indigne, elle abandonne son troupeau pour nous suivre encore un moment jusqu'à ce que l'on rentre dans une forêt, les siens ont aussi abandonné. Elle n'avait pas l'air si méchante finalement, mais mieux vaut prévenir. On a déjà notre compte de débandades. Christelle et sa famille de rastas nous présentent Edouard, berger à la retraire qui nous prête ses terres à Chasteuil. D'une tchatche soutenue, il maudit le loup que les patous stoppent à peine. Selon lui ils pullulent : « ils sont même sur la promenade des anglais ! » argue-t-il. Le chaud humide environnant donne un air péruvien aux montagnes vertigineuses avec leurs petits murs en pierre, la voie romaine large comme un sentier muletier, le Verdon sillonnant en contrebas. Le matin, la brume reste accrochée sur les pics verdoyants. C'est ensuite le déluge qui nous bloque la journée à Castellane. Napoléon est aussi passé par là à cheval avec ses troupes pour reconquérir Paris. Nous nous enquérons de la météo pour passer entre les averses le lendemains jusqu'à Briançonnet, alternant tronçons de routes et de pistes. Les petits sentiers sont devenus dangereux par le ravinement dû à la forte pluviométrie. La clue de Saint-Auban est impressionnante. L'Estéron tumulteux au cœur de la roche, un gigantesque canyon qu'emprunte une route sinueuse creusée dans la muraille n'offrant que des virages sans visibilité. Nous pressons le pas. En cette moyenne montagne, lorsque nous cherchons où établir le campement, on nous montre toutes ces grandes prairies sans clôtures. L'heure des transhumances a sonnée dans les Alpes de Haute-Provence, les brebis ont désertées le coin.


Gé, "la machine apicole".
C'est enfin dans la plus grande joie que nous arrivons le 16 juin chez nos amis Gé et Méli, installés à Saint-Pierre, perdus dans la montagne au dessus de Puget-Théniers. Nous allons pouvoir fêter dignement les vingt-six ans de Clio avec les copains. Après avoir voyagé ensemble en Afrique de l'Ouest et fait quelques saisons agricoles, nous ne nous sommes pas vus depuis cinq ans. Ils se sont convertis à l'apiculture. De leur travail méthodique et à l'écoute de la nature naît un miel des plus délicieux. Ils nous expliquent cet art en tenue de cosmonaute sur un fond de bourdonnement. Nous faisons connaissance avec la faune locale. Tout un réseau d'amis qui s'entraident, troquent des denrées alimentaires ou services, voulant court-circuiter les supermarchés et autres temples de la malbouffe. Ils élèvent leurs volailles et entretiennent leur potager quand ils ont le temps, car c'est l'effervescence en cette saison. Il faut déjà récolter certaines ruches et en tirer le miel de montagne, transhumer les abeilles sur le plateau de Valensole où elles produiront le si prisé miel de lavande. Nous aussi étudions notre chemin de transhumance, quel sera le meilleur passage vers l'Italie ? Nous glanons des informations ici et là, recherchons des cartes. Nous avons aussi dû changer à nouveau de tapis de selle. Avec les fortes chaleurs, les dos des chevaux deviennent plus sensibles et les couvertures militaires n'étaient pas assez amortissantes. Elles avaient le mérite de ne plus couper les poils des reins, mais de petites gonfles sont apparues, surtout sur Nanouk tellement bien en chair que les selles ne sont plus si adaptées à son dos qu'au début du voyage. Le sellier JMS que nous avions rencontré dans le Lot nous en a conçu sur mesure pendant que nous soignons ce désagrément. Michel, le beau-père de Méli qui est berger, prête ses prés verdoyants pour nos poneys qui prennent des forces durant trois semaines avant de passer les Alpes et la frontière italienne.

De gauche à droite et de haut en bas : Annie et René ; Guillaume ; Luna, Gabin, Carole, Olive ;

 Pascal, Willy, Renaud ; Emmie, Olivier, Karine ; Virgine ;
 Florence ; Eden ; Manuela, Matéo, Nathalie ; Sunshine, Alban, Pierre