Sentier des Causses du Quercy. |
La bonne humeur est dans nos bagages, le soleil au dessus de nos têtes. A peine partis, Nanouk se roule à la pause avec la selle de Clio sur le dos, ce qui lui vaut un étrier cassé. Elle le prend plutôt à la légère, et nous nous mettons en quête d'une sellerie. Coup de chance, le lendemain nous passerons chez un artisan à Labastide-du-Vert. C'est avec grande surprise que nous atterrissons chez le fameux fabricant de selles de randonnée Jean-Marie Soliveres, alias JMS. L'accueil est très chaleureux et naturel. Cet homme de cheval ne peut s'empêcher de jeter un coup d'oeil averti à notre matériel. Nous échangeons idées, doutes, expériences... il nous rassure plus ou moins à propos des poils qui s'usent parfois sous les tapis ou les colliers de chasse. Lui même part en voyage trois mois d'affilés tous les ans, et même avec son propre matos taillé sur mesure pour ses deux chevaux, il rencontre ce problème. C'est la différence entre utilisation ponctuelle et quotidienne, qui plus est, sur du long terme. A surveiller constamment, la nature n'avait pas prévu de faire porter tout ce barda aux chevaux. Nous avons l'honneur de visiter son atelier tout en bavardant. Les anecdotes de voyageurs du même acabit sont toujours passionnantes, aussi les chevaux attachés devant la boutique commencent à trouver le temps long. Nous repartons, pleins des adresses confiées par Jean-Marie. Des indications aussi, où camper ce soir à Luzech et où boire un coup,
façon western, chevaux attachées sur la place le temps d'avaler un demi et de bavarder rapidement en terrasse. Discrétion assurée ! Mais un petit plaisir que nous ne nous étions pas encore permis.
Nous arpentons maintenant les Causses du Quercy. Les
collines sont sèches, caillouteuses, sillonnées de chemins blancs de
"castine". Une mousse vert pâle prolifère sur les petits chênes
déplumés, la végétation est rase. Les rapaces lancent des cris stridents, tourbillonnant dans les airs. Un voile nuageux donne au cadre une ambiance fantomatique.
Le seul bétail à paître dans le coin sont les moutons.
Labastide-du-Vert. |
Une fois les deux zouaves maitrisés, nous nous lançons à
la recherche de nos trois fuyards. Nous nous égarons quelque peu, appelons,
courrons... rien. Les chiennes ne comprennent pas ce qu'il se passe et
finissent par me suivre. Je récupère mon téléphone dans mes fontes, Clio est
partie de son côté et elle a le sien. Une chance, pour une fois nous avons de
la batterie et du crédit. Au bout d'un certain temps, nous décidons d'appeler
la gendarmerie. Si c'est bien un numéro que je n'ai jamais fait celui-là. Je ne
le connais pas alors je fais le 112. Les pompiers me passent la gendarmerie,
mon interlocuteur me demande "Et qu'est ce que vous voulez qu'on y fasse
?" "Ben je sais pas moi, vous prenez mon numéro, et si une patrouille
voit gambader trois chevaux sans cavaliers sur une nationale ou qu'on vous le
fait savoir, ben vous essayez de gérer la situation et vous m'appelez par
exemple..." Toujours la même histoire avec eux, ce n'est pas pour rien
qu'on ne les appelle jamais.
Les Causses sont immenses et rien ne ressemble plus à un
petit chêne qu'un autre petit chêne. Le temps parait long, trop long. Ils
peuvent être loin à présent, les bagages sur le dos, Nanouk doit avoir les
rênes qui pendent entre les pattes. Je retourne finalement à l'endroit que
m'indiquait Vasco. Impossible, après quelques épais buissons entremêlés, une
roche de deux mètres à pic donne sur une pente raide de caillasses et d'arbres
très serrés. Ils ne sont tout de même pas passés par là ? Je m'arrête, observe,
écoute. Le stress monte. Soudain je crois entendre un bruit de feuillages en
contrebas. Oui c'est ça ! Je saute et dévale dans cette direction, m'extirpant
à travers les buis. C'est bien eux ! Mais quelle n'est pas la vision d'horreur
lorsque je vois Nakai couché là, trempé de sueur, la tête par terre, enchevêtré
dans les arbres cassés, le bât et les mallettes fixés sur le dos. Mon cœur se
serre. Il parait mort ou les membres brisés. Nanouk est debout contre lui,
arrêté dans cette folle glissade par son camarade tombé au sol. Non, le voici
qui bouge ! Je fonce et détache tout le barda, le jette plus loin en tentant
de le rassurer. Il finit par se lever, difficilement, positionne ses pattes bizarrement. Les pierres roulent sous les sabots, dévalant méchamment la pente.
Plus qu'anxieux, j'effectue un rapide contrôle. Multiples contusions et
saignements pour Nakai. Je déselle Nanouk, il parait indemne.
Nakai est tétanisé, de peur et d'épuisement. Depuis
combien de temps lutte-t-il de la sorte ? Je lève la tête, le passage par
lequel ils ont dévalé et arraché des arbres est trop raide pour y remonter. Je
dégage les branches autour de Nakai et tente de le faire mouvoir. Rien à faire,
il ne veut pas. Je lui parle, le caresse, le calme. Il est essoufflé. Nanouk a
l'air bien, plutôt tranquille.Je les laisse tout les deux le temps qu'ils
récupèrent, mais sans les attacher au cas où ils glisseraient à nouveau.
Pendant ce temps, je pars à la recherche d'Oro et d'un passage envisageable, machette à la ceinture.
Beaucoup d'arbres sont morts et se rompent tout seuls, rendant plus aisé le
débroussaillage. Les pierres offrent un sol instable. J'appelle Oro... rien.
C'est étrange, ils ne se seraient pas séparés. Je continue de descendre en me
disant que ce serait plus facile que de les faire remonter vu l'état de
fatigue. Une sorte de goulet dégarni d'arbres parait comporter des traces. Le
terrain est de plus en plus instable, abrupte et glissant. Les roches
dégringolent et s'entrechoquent. Je m'accroche aux arbres sur les bords du
couloir. J'arrive au bout, prudemment. Une énorme boule me tord le ventre, un
désespoir immense m'envahit. Impossible ! Le vide assassin d'une falaise de plus d'une centaine de mètres
s'élance sous mes yeux. La roche grise et lisse menace. Je scrute en bas,
allongé au bord du précipice. Je crois voir une tache beige. Je dois sûrement
me faire des films, mais je n'en mène pas large. En tout cas s'il ne s'est pas
arrêté à hauteur des autres...
Je remonte en m'agrippant aux arbustes, redoublant de
vigilance. Près des chevaux, j'appelle Clio pour lui conter les faits. Elle
s'est perdue et se retrouve justement au bord du Lot, non loin des falaises.
Elle n'a qu'une trouille, celle de retrouver Oro au pied de l'une d'elle. J'appelle
les pompiers, cette fois pour leur demander assistance dans les recherches, et
éventuellement pour les sortir de là. M'évertuant à leur donner le maximum
d'informations sur notre position plutôt floue, ils envoient une patrouille.
Clio n'a de cesse d'être en contact avec eux.
La vallée du Lot et ses falaises. |
Maintenant que les deux chevaux sont en sécurité et que
l'aide arrive, je repars dans les broussailles avec un pompier à la recherche
d'Oro. On s'égare à nouveau lorsque j'aperçois une mallette tombée au sol. Il
est donc passé par ici avec les autres. J'appelle, à la fois plein d'espoir et
d'appréhension. Et là, enfin, il hennit comme une mobylette qui toussote de
contentement. Je ne me réjouis pas trop vite, dans quel état vais-je le
retrouver ? Cela fait plus de trois heures qu'il est coincé là. Je l'appelle à
nouveau, plus rien. Mais enfin Rustine et Kali servent à quelque chose et me
mènent à lui. Elle auraient pu faire ça plus tôt ! Le voici, debout. Le genou
ensanglanté, mais debout ! Coincé entre les arbres, bancal avec une seule mallette sur le dos, il a du également se statufier de peur. J'appelle
immédiatement Clio, quel soulagement ! De son côté, exténuée, elle tente de
retrouver son chemin. Une dame lui a prêté son vélo afin qu'elle aille plus
vite. Elle crève de soif sous le soleil ardent, et faute de mieux a bu dans le
Lot ainsi que dans une flaque boueuse. Nous sommes à jeun et en hypoglycémie.
Reste encore à ramener Oro avec ses copains. Je le débâte, le pompier fait
l'éclaireur quelques mètres devant, choisissant et débroussaillant le chemin
adéquat. Nous rassemblons les affaires éparpillées lorsque la brigade arrive à
bord d'un camion 4x4, tous équipés de harnais, mousquetons et cordes. Ils
parlent tout d'abord de hisser les chevaux par la barre rocheuse. Certains
partent étudier un peu mieux le terrain. Ils décident finalement de défricher
un chemin en lacets à la tronçonneuse. Clio qui a enfin retrouvé son chemin les
aide à coups de machette et en enlevant toutes les caillasses possibles, rendant
les éboulis praticables. Il ne reste que deux passages difficiles : un chemin
de biquette à flanc de rocher et une marche d'un mètre sur une pente raide
comme la justice.
Brigade de pompiers à notre rescousse. |
Joël, le propriétaire de l'âne a été prévenu et est arrivé
pour donner un coup de main, l'air plutôt embêté. Nous finissons par sortir
tout le monde de là malgré un petit loupé de Nakai sur la marche qui a bien
failli redévaler la pente, arrêté le cul dans les arbres, un pompier et moi le
tirant par la longe. Les chevaux, capables de remonter tout ça n'ont pas l'air
d'avoir de graves séquelles. Une vétérinaire est en route pour les ausculter.
Nous remercions grandement les pompiers de Cahors et de Cabrerets. Lorsque nous
demandons combien cela va nous coûter, le capitaine nous répond que les interventions
des pompiers sont un service public gratuit, et il espère bien que cela le
restera. C'est bien, il n'y a pas que les riches qui ont le droit d'être
sauvés. Il est seize heure lorsque toute cette histoire se termine.
Audrey, la vétérinaire, ne pense déceler aucune fracture.
Nakai a cependant les tendons des deux membres gauches gonflés et beaucoup
d'éraflures. Vasco s'est ouvert les gencives dans la chute. Nanouk lui, s'en
sort indemne. Par contre Oro a une vilaine plaie de cinq centimètres de
diamètre sur le genou gauche. Profonde d'un bon centimètre, elle ressemble plus
à une brulure. Il a du glisser le genou sur une roche. Un endroit terrible pour
une bonne cicatrisation car zone de flexion, et l'on ne peut pas recoudre
puisqu'il n'y a plus de peau. La vétérinaire prescrit au bas mot un mois de
convalescence. Quelle poisse, tout ça à cause d'un âne, demi-portion en plus !
Mais nous avons de la chance dans notre malheur, tout cela aurait pu être
beaucoup plus grave et nous aurions pu perdre un de nos frères à quatre pattes.
Lorsque nous retournerons plus tard sur les lieux de l'accident récupérer des
affaires, nous avons aperçu un peu en dessous des endroits où nous avons
retrouvé les chevaux bloqués, deux énormes grottes à ciel ouvert, deux fosses
en guise de piège naturel. Il était vraiment temps que la glissade s'arrête.
Pour ma part, une étrange douleur se fait sentir dans le mollet en
refroidissant une fois l'action terminée, jusqu'à ne presque plus pouvoir
arquer. Le verdict ne mettra pas beaucoup de temps à tomber : déchirure
musculaire, soit un mois au même régime que les chevaux.
Convalescence d'Oro. |
Joël, Filou et ses roustons. |
Capter les rayons du soleil en famille. |
Cela fait un mois à présent que nous sommes immobilisés à
Pétral, non loin de Saint-Géry. La plaie d'Oro est presque entièrement
cicatrisée, reste une petite croûte. Le temps et les soins on fait leur œuvre
.
Clio et Nanouk en ont profité pour apprendre des numéros de cirque, ce dernier
est d'ailleurs très coopérant. Nous avons pris notre mal en patience et
espérons reprendre la route d'ici quelques jours. Le printemps fait resplendir
la nature autour de nous. Les fleurs, les bourgeons, maintenant les feuilles.
Les Causses s'illuminent d'un vert éclatant sous un soleil qui chauffe déjà le
mercure jusqu'à vingt-huit degrés l'après-midi. Au crépuscule, les grillons se
mettent à chanter et les chevreuils poussent leurs cris rauques, sortant des
bois pour goûter à l'herbe reluisante des combes. Cette dynamique nous appelle.
La sellerie est réparée, les chevaux ferrés à neuf. Il ne nous manque plus que
la certitude d'un rétablissement complet de notre fjord.